International SNTRS CGT

 Turquie : Résistance à l’autoritarisme et à l’obscurantisme, deux femmes dans le viseur

 

L’affaire de l’écrivaine Asli Erdogan, libérée de sa détention injuste et injustifiée le 29 décembre 2016, l’emprisonnement de journalistes dont le directeur de Cum Hurriyet, et la condamnation de députés, dont Selahattim Demirtas, co-président du parti progressiste d’opposition prokurde HDP, contre lequel le parquet de Diyarbakir (Sud-est de la Turquie) a requis… 142 ans de prison, n’ont pas fait oublier les persécutions incessantes de notre collègue sociologue Pinar Selek, contre laquelle le Procureur de la Cour suprême a requis la perpétuité le 25 janvier. Cette réquisition annule la décision d’acquittement prise suite à l’appel des avocats de Pinar Selek en juin 2014.

En France, Pinar Selek est soutenue par plusieurs comités comme à Strasbourg et à Nice, où elle travaille comme ATER à l’université depuis septembre. La section du SNTRS de Strasbourg a toujours été à ses côtés en participant à ce comité. Le laboratoire « migrations et société » (UMRIS, UMR8245 CNRS) dont Pinar Selek est membre associé, a interpelé ses tutelles à son sujet. Le Centre Européen de sociologie et de science politique (CESSP) a organisé le 19 janvier une journée d’étude et de solidarité sur le thème « faire de la recherche en contexte autoritaire », avec la participation d’universitaires et doctorants turcs et français pour former « un réseau de solidarité et d’échanges » franco-turc.

En Turquie, la résistance s’organise par les collègues qui, même sous la menace et privés de leur poste à l’université suite à leur limogeage, continuent leurs cours et séminaires, en les ouvrant à un large public avec le soutien du syndicat Egitim-Sen, dont des milliers de membres ont été renvoyés de leur poste. C’est l’exemple de cette professeure d’architecture de l’université de Kocaeli qui, interdite de publier, a créé avec une dizaine de ses collègues une sorte d’université « libre », l’Académie de solidarité de Kocaeli.

Quant à Pinar Selek, voici le message diffusé par l’avocate Yacemin Öz, porte-parole du comité « Justice pour Pinar Selek » :

« 19 ans après le début du procès de Pınar Selek, le harcèlement judiciaire continue, dans la plus pure illégalité. Ce procès est une torture, nous ne pouvons le qualifier autrement. Pinar Selek a été acquittée à quatre reprises, et en ce mois de janvier 2017, le Procureur général de la Cour suprême réclame à nouveau l’annulation de la quatrième décision d’acquittement.

Inutile de dire qu’il n’y a aucune trace de nouvelles preuves, aucun nouvel élément dans cette affaire.
Les conspirations au plus haut niveau de l’Etat ont repris, et c’est une honte puisque au cours de ces années elles se sont avérées totalement infondées […].

Aujourd’hui, le Procureur général de la Cour suprême demande l’annulation de l’acquittement et il revient à la 16e Chambre criminelle de la Cour suprême de se prononcer sur cet appel. Cette nouvelle étape montre avec quelle détermination les structures qui agissent dans l’ombre au sein de l’appareil d’État prennent Pınar Selek pour cible. […] Ce procès politique s’est transformé en instrument de vengeance contre les opposant.e.s qui osent critiquer le statu quo fondé sur la violence et la répression. Nous sommes très inquiets de la tournure dangereuse que prend ce procès, en particulier compte tenu du climat politique extrêmement tendu qui s’instaure en Turquie.

Faites part autant que possible de vos interrogations et de vos craintes aux autorités turques. […]. Nous ne voulons que la justice et nous nous nous battons pour qu’elle soit rendue, maintenant plus que jamais ».

Le SNTRS-CGT soutient le combat de Pinar Selek (En Bref n°444 du 1 er février 2017), ainsi que celui des collègues universitaires et des écrivain.e.s et journalistes persécuté.e.s ou emprisonné.e.s. Tout récemment, l’écrivaine Asli Erdogan, dont le procès a été ajourné au 22 juin, répétait dans un entretien à l’Humanité du 16 mars 2017 combien sont absurdes les accusations de « terrorisme » ou assimilés qui pèsent sur celles et ceux qui s’engagent dans la bataille des idées avec leurs livres (y compris romans ou poèmes) et leur enseignement. « Je suis une personne très banale, donc une cible très facile », dit-elle. À la réunion du groupe syndical permanent européen ESR (HERSC) à Bruxelles les 14-15.03, il a été souligné, suite à des informations transmises par le syndicat Egitim-Sen, qu’une forme très pénalisante des persécutions est la perte totale de revenus et de sécurité sociale pour les collègues des universités turcs licenciés, mais aussi la rétention de leur passeport, ce qui les prive de toute possibilité de travailler à l’étranger.
 
Les syndicats font leur travail, y compris des visites en Turquie pour rencontrer les membres d’Egitim-Sen, sans bien sûr les mettre en danger. Jusqu’à quand les gouvernements européens resteront-ils des observateurs quasi-silencieux de cette situation inacceptable ?

source : Bulletin de la recherche scientifique n° 490