Travail et santé

 Médecine du travail et prévention-1-

 

Il n’a jamais été autant question de suicides dus au travail. C’est la partie émergée de l’iceberg. Derrière eux, ce sont mal être, souffrances, risques psycho-sociaux, accidents du travail, arrêts maladie, pathologies diverses et variées dont les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont le phare.

Pourtant, la loi est très claire, pour tout employeur, du privé comme du public, en France comme en Europe :

  • Le travail doit être adapté à l’homme
  • Préserver la santé physique et mentale des salariés employés, donc éviter toute altération de la santé au travail, quel que soit le statut, avec définition de moyens et obligation de résultat.

Parallèlement, des négociations se sont ouvertes entre pouvoirs publics, patronat et organisations syndicales, sur la modernisation des services de santé au travail.
Dans l’accord qui a été soumis à signature, il est question de passer la visite médicale professionnelle à tous les 3 ans, de contrôler l’indépendance des professionnels de santé au prétexte de pénurie de leur nombre ...

Face aux chiffres, il n’y a pas photo. Les enjeux sont lourds, nous concernent tous. De quelle médecine du travail avons-nous besoin ?
S’il est partout et beaucoup question de développement durable où est la place de l’humain dans ce concept ? Ne permet-il pas de rester arcbouté sur le tout économique ?
Qu’en est-il du développement durable du bien-être ? La santé au travail, la santé tout au long de la vie ne devrait-elle pas, elles aussi, relever d’une obligation de développement durable ?

2 millions de décès au travail, chaque année dont 15% pour les pays industrialisés (1,2 million en 1992). Soit : ≥ + que les morts de toutes les guerres du globe. ≥ + que tous les accidents de la route du monde.

En France, 2 salariés meurent tous les jours d’un accident du travail.
Ce sont :

  • plus de 750 000 accidents du travail avec arrêt de travail, déclarés, reconnus, indemnisés
  • plus 50 000 accidents du travail déclarés reconnus, indemnisés entraînant une incapacité permanente

Le nombre de maladies professionnelles ne cesse d’augmenter, a été multiplié par 2 depuis 1995.
100 000 personnes vont décéder de l’amiante, d’ici les 10 ans à venir.

Le travail est inapte aux salariés !

L’organisation du travail est devenue pathogène, nocive. Les salariés vivent de plein fouet, dans tous les secteurs, des restructurations, délocalisations, fusions, acquisitions, déréglementations, déconcentrations, décentralisations.... Chaque fois, cela se traduit par des abandons d’activités, de missions, des suppressions de postes, d’emplois, par l’insécurité sociale, la précarité.
Normal, c’est fait pour ça ! L’emploi est supprimé, mais le travail reste, demande toujours plus de diversification, de qualification. Il ne cesse d’être compacté sur certains quand tant d’autres en sont privés.
Le travail n’a plus rien d’humain, il obéit à l’urgence, à la rentabilité. Il est remplacé par la performance, sa valeur par celle du mérite, sa qualification et son expérience par la compétence, érigée en idéal de l’autonomie.
Les conditions de travail se délitent. Le seul dogme, c’est celui du résultat -et non plus la mise en œuvre- le management se fait par objectif. Ce n’est plus le travail lui-même qui est décrit, analysé, évalué, prescrit mais la personne : le travailleur est effacé, fait place à des individualités. Ce sont ces individualités qui sont appelées à justifier, en permanence, de leur intérêt, de leur employabilité, c’est-à-dire de leur maintien dans l’emploi, d’où leur mise en concurrence. L’assujettissement est d’autant plus fort qu’il est pris sous le poids du chômage et de la précarité... Pour bon nombre d’entre nous, cette dégradation globale et générale s’exprime en perte d’identité, de confiance, en incompréhension, en désyndicalisation et aussi en arrêts de travail, en absentéisme, en souffrance, parfois en désespérance.

Parce qu’il faut faire toujours plus, toujours vite, le travail n’offre plus de temps de respiration, de temps pour être pensé, donc de temps pour se penser, se projeter. Alors non, le travail n’est pas adapté à l’homme. Oui, il génère tous les types d’altérations à la santé.

Quelles réalités pour les professionnels de santé ?

Les médecins du travail (secteur privé) de prévention (secteur public), ont 2 guides : la loi de 1946 qui stipule qu’il faut « éviter l’altération de la santé du fait du travail » et le Code de Déontologie qui oblige à la seule mission santé, à une obligation de moyens et non pas de résultat.

Un médecin, en moyenne, s’occupe de 3.300 salariés ; la charge pouvant varier de 5000 à 7000. Actuellement pour 300 départs à la retraite par an, 50 sont recrutés.
Leur nombre est donc plus qu’insuffisant, le devenir de la profession plus qu’incertain. Ils sont mal payés, ont un turnover important. Ils sont surtout, en général, isolés, ont à subir pressions, menaces, harcèlement, poursuites en justice lorsque que le patronat considère qu’ils font du zèle, mettent en lumière le travail réel et ses dégâts.

Surtout, ils n’ont pas les moyens nécessaires et suffisants pour pouvoir assurer leurs missions, relever l’enjeu de la santé au travail, donc celui de la santé publique, de faire de la prévention, en particulier contre les risques psychosociaux, de cancers professionnels, de TMS et CMR, d’assurer une vigilance particulière auprès des populations les plus exposées, d’organiser un suivi médical de qualité, et sur du long terme.

Des enjeux lourds qui nous concernent tous !

En voulant organiser une visite médicale tous les 3 ans, le patronat, avec la complicité des pouvoirs publics, veut organiser la mise à mort de la médecine du travail/prévention, ainsi que celle de la visite, du suivi médical.
Au prétexte de pénurie de médecins, l’accord prévoit de faire monter en ligne les infirmiers, eux-mêmes déjà en nombre insuffisant pour réaliser des « rencontres médico-professionnelles » hors de toute définition de ces actes, sans formation spécifique, hors de tout cadre réglementaire et de lien au code de la santé publique.

Le patronat veut donc minorer, encore mieux organiser l’invisibilité des effets du travail sur la santé physique et psychique, construire son impunité. Cette « triennale » entraverait, de fait, tout plan et action de prévention au profit de la gestion des risques (le dénombrement des victimes constituant une donnée comptable de gestion). Ce sont aussi tous les précaires, intérimaires, précarisés, salariés durablement exposés aux risques, qui passeraient à la trappe. L’action des syndicats, des CHS/CT, des médecins du travail s’en trouverait grandement amputée, dans un contexte déjà important de sous-évaluation des AT/MP.

Or, la situation des salariés au travail appelle de toutes autres réponses car l’enjeu de préservation de notre santé et de notre sécurité réside dans la capacité des professionnels en santé au travail à pouvoir intervenir en nombre, avec des moyens, de façon indépendante de l’employeur, pour dépister, comprendre, alerter, agir. Ce sont les médecins qui sont les témoins. Ils ont souvent la preuve de l’altération de la santé par le travail. Ils sont ainsi les sentinelles, ils participent au contrôle social.

Éviter les altérations de la santé en s’attaquant aux risques à la source, plutôt que de laisser exposer la santé et la vie des salariés au travail au point de les perdre, reste un enjeu majeur pour chaque salarié.

De quelle médecine du travail avons-nous besoin ?

En tant que salariés, n’avons-nous pas de multiples réponses à faire valoir ? N’est-ce pas en faisant vivre ou en exigeant la création de CHSCT que nous pourrons gagner une médecine du travail, de la prévention, de qualité, efficace en nombre, en temps, en moyens ?

N’avons-nous pas à ne plus subir la visite médicale mais à l’exiger, chaque fois que le travail nous met à mal, comme à exiger du temps pour que le médecin puisse faire face à son rôle ?

N’avons-nous pas à suivre de près tous les constats du médecin concernant les facteurs de risques professionnels qui n’entraîneraient pas la mise en œuvre, par l’employeur, de mesures de prévention et engager ainsi une démarche juridique, pénale, qui mette en évidence son irresponsabilité, ses carences ?

N’avons-nous pas à exiger, systématiquement, fiches d’exposition, bilan d’activité, plan de prévention, document unique d’évaluation des risques.....

N’avons-nous pas à travailler de concert avec le médecin, à empêcher le turnover qui gèle l’activité ? A faire un état des lieux de tous les manques pour revendiquer les moyens à lui accorder ? A faire intervenir le collectif de salariés pour protéger des pressions, des menaces ?

Pour la CGT Médecins du travail/prévention, il faut mettre en place une organisation d’intérêt public :
«  Les professionnels de santé au travail ont su développer leurs compétences cliniques auprès des hommes et des femmes qui travaillent. Pour les mettre en œuvre, et orienter leur activité vers les objectifs affichés, ils ont besoin d’un changement radical de gestion et d’organisation des structures où ils exercent. En effet, seule une organisation des services de santé garantissant l’exercice réel d’une mission de santé publique, peut permettre aux médecins du travail et aux équipes pluridisciplinaires de remplir les missions qui leur sont confiées. Cette nouvelle gestion des SST doit associer principalement les représentants des salariés et les services de l’État, ainsi que les représentants des victimes, en lien avec les représentants des professionnels ».

Se réapproprier le travail, porter des exigences émancipatrices

« ...La santé est un droit humain, fondamental, individuel et collectif, reconnu par la Constitution. C’est aussi une conquête de tous les instants, pour l’épanouissement de l’individu, son accession à un état de bien-être physique, psychologique et social. En conséquence, le système de santé doit traiter l’Homme dans sa globalité au sein de sa communauté de vie, en s’intéressant à la personne, à ses droits et pas seulement à la maladie » (source : CGT).

« Le travail salarié s’accomplit dans le cadre d’un rapport de subordination qui change sans doute de forme mais ne disparaît pas.
Sa spécificité est qu’il implique nécessairement une forme « autorisée » d’atteinte à la liberté individuelle. Il est donc essentiel de poser les limites de cette atteinte. C’est l’objet du droit du travail que de cantonner le droit de l’employeur à ce qui est absolument nécessaire, et de redonner aux travailleurs, sous forme de droits collectifs, les libertés perdues au plan individuel (droit de grève, droit syndical, droit à la négociation collective). Ce que l’on désigne par « marché du travail » n’est pas une entité abstraite, c’est une sphère d’échange instituée par le droit.
 » (Source : CGT)

  • L’environnement de travail respecte-t-il l’intégrité physique, mentale, sociale
     ? Un contexte de propreté, sain ? Les règles sociales sont appliquées ?
  • Des marges de manœuvre pour construire des stratégies de protection : spatiale (la place de se mouvoir ?), temporelle (les temps de récupération ?) sociale (pouvoir négocier l’organisation du travail ?).
  • Le sens : à quoi sert ce que je fais ? À quoi je sers ? Quelle contribution, quelle place ai-je dans « la transformation du monde » ?
  • La reconnaissance ?
  • Par l’encadrement ? (récompense, bon travail) les pairs ? (construire les règles de métier, le « beau » travail) le terrain ? (l’utilité du travail et sa qualité).
Mettons en lumière tout ce qui est invisible, le travail réel ! Utilisons notre diagnostic syndical, donnons du temps et de la place pour la parole aux salariés que nous sommes, au travail que nous réalisons au quotidien !