Enseignement Supérieur et Recherche International

 Le Brésil, entre coupes sombres et résistances

 

Léa Lima, Conservatoire national des arts et métiers, professeure visitante à l’Universidade federal do Rio de Janeiro

Le 28 octobre dernier, après une campagne très violente, alimentée par une véritable organisation industrielle de fake news, les brésilien·nes ont élu président Jair Bolsonaro qui, un an auparavant, n’était qu’un obscur et isolé député d’extrême droite de 27 ans de carrière.

Parmi les nombreux groupes réactionnaires qui ont porté ce nostalgique de la dictature militaire au pouvoir, on compte celui de l’école sans parti (Escola sem partido), un mouvement qui milite contre la liberté académique au nom de la lutte contre le soi-disant “endoctrinement idéologique” dans les salles de classe et pour réserver l’éducation civique, morale et sexuelle à la famille.

La seule concrétisation de ce programme à ce jour est un projet de loi sur le droit à l’éducation à la maison rédigé par le propre directeur de l’association de l’éducation à domicile entré au gouvernement. « On n’est jamais mieux servi que par soit même » semble être l’autre devise de ce gouvernement après « le Brésil et Dieu avant tout » (« Brasil e deus acima de tudo »).

Cette attaque idéologique s’est trouvée quelque peu affaiblie par des guerres de pouvoir au sein du ministère de l’éducation mais la pression répressive reste forte. Le nouveau ministre de l’éducation a mis à l’ordre du jour la pénétration de la police civile et militaire sur les campus universitaires sans l’autorisation des recteur·trices, ce qui rappelle les heures les plus sombres de la répression pendant la dictature civile-militaire de 1964.

L’agenda de destruction de l’enseignement public au Brésil, lui, est plus que jamais tenu. Il se traduit notamment par des coupes de 30 % dans les budgets d’investissement des universités. Dans un pays où les inégalités d’accès à l’éducation sont si criantes, ce sont les politiques de discrimination positive de l’ère luliste qui sont visées.

La bourgeoisie a peu apprécié que les universités publiques, très réputées au Brésil à l’inverse du primaire et secondaire, se soient ouvertes à une population pauvre et noire par le biais de la loi sur les quotas de 2012 qui oblige les universités fédérales à réserver 50 % de leurs places à des élèves issus de l’enseignement secondaire public.

Les sciences humaines et sociales, considérées comme des foyers de contestation de l’ordre établi, sont dans le viseur. Les bourses de mobilité internationale des étudiant·es ont été supprimées dans ces disciplines et les départements de SHS saignés. Sur fond d’attaque des droits des travailleur·ses, et notamment des fonctionnaires, puisque la réforme des retraites enclenchée dès l’investiture est l’important dossier sur lequel les marchés financiers et l’élite patronale attendent le gouvernement Bolsonaro.

Les manifestations monstres du 15 mai montrent que le monde éducatif, enseignant·es comme étudiant·es, n’est pas prêt à se laisser faire. Voilà qu’un million et demi de personnes ont défilé dans toutes les villes du pays pour s’opposer à ces coupes, ce qui représente la première mobilisation de masse contre le gouvernement.

La grève générale du 14 juin à l’appel de toutes les centrales syndicales du pays pour s’opposer à la réforme des retraites devrait marquer une nouvelle étape dans la mobilisation.

Les syndicats espèrent profiter des affaires de corruption et de conflits d’intérêt qui s’accumulent dans l’entourage du Président pour mettre un coup d’arrêt à ces politiques libérales et néo-fascistes.