Lutte contre les discriminations Education Dossiers

 Bulletin IHS n°22 - Spécial RESF : 20 ans déjà...

 

Pas de frontières pour le droit à l’Éducation !

L’IHS-FERC a décidé de consacrer le numéro 22 de son bulletin à RESF qui fête ses 20 ans d’activité. Depuis 20 ans, le Réseau Éducation Sans Frontières, dans lequel la FERC CGT s’est très impliquée, démontre tous les jours son utilité et son efficacité. Reprendre l’histoire de ce réseau, comprendre comment une initiative au départ de quelques militantes et militants déterminé·es a pu créer une telle dynamique est la meilleure façon de préparer, aujourd’hui, les luttes de demain. La progression de l’extrême droite et des idées nauséabondes qu’elle véhicule nous oblige à nous organiser.

La mobilisation citoyenne et la création du Nouveau Front Populaire ont permis de faire front et d’empêcher l’arrivée directe du Rassemblement National au pouvoir. Mais le danger est toujours là. Cette situation n’est pas spécifique à la France, elle n’est pas conjoncturelle : c’est le sens de l’adhésion de notre fédération au réseau intersyndical VISA (Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes) depuis 2017 : mener un travail unitaire, en profondeur, dans la durée pour dénoncer l’idéologie et les exactions des organisations d’extrême droite.

La répétition des campagnes contre les étranger·es dans les médias aux ordres de Bolloré ou complaisants vis-à-vis des thèses du Rassemblement National, ont des effets dévastateurs dans l’opinion. La politique de Retailleau, le ministre de l’intérieur du gouvernement Barnier prônant une augmentation des obligations à quitter le territoire français (OQTF) avec application immédiat et la remise en cause des associations, doit être combattue comme nous l’avions fait il y a 30 ans contre la politique de Pasqua à l’égard des enseignant·es étranger·es.

La Fédération CGT de l’Éducation, la Recherche et la Culture est en première ligne dans ce combat. Préserver le droit à une Éducation pour toutes et tous les jeunes de notre propre pays, quelle que soit la nationalité, avec ou sans papiers, est notre première responsabilité. Gagner ce droit dans les pays où il n’existe pas (Afghanistan, Pakistan... pour des raisons d’obscurantisme religieux), le rendre applicable dans les pays où, pour des raisons économiques, mais aussi parfois à cause de la guerre, comme en Palestine, il n’est pas appliqué, c’est le sens de notre adhésion à un syndicalisme international. Notre engagement dans le Réseau Éducation Sans Frontières est dans notre ADN. Il s’inscrit au fil de l’histoire de la CGT dans de nombreuses luttes pour les droits de tous
les travailleurs et travailleusess quelle que soit leur nationalité et par une volonté sans faille de solidarité, avant-guerre pour les migrant·es italien·nes menacé·es par le fascisme, pour les républicain·es espagnol·es, puis dans le cadre des luttes de libération nationale, et plus près de nous pour le droit au travail des « sans-papiers ».

Pour décrire les conditions dans lesquelles RESF s’est créé, nous donnons la parole à deux militants CGT de notre fédération, Richard et Pablo. Ils sont avec beaucoup d’autres militant·es, de différents syndicats, à l’origine de ce Réseau.
Nous devons continuer ce combat.

Richard Moyon et Pablo Krasnopolsky ont quelques points communs. Très engagés politiquement dans l’après 68 ils ont acquis de fortes convictions internationalistes notamment dans le soutien aux travailleurs et travailleuses immigré·es, à la défense des sans-papiers. Ils ont fait leur carrière d’enseignants comme professeurs de Lettres-Histoire dans les LP de la Région parisienne. Tous les deux syndiqués au SNETP-CGT, qui deviendra l’UNSEN-CGT puis la CGT Educ’action, c’est naturellement qu’il se sont retrouvés en 2004 dans l’impulsion du Réseau Éducation Sans Frontières.

Réseau Éducation Sans Frontières : interview

Pablo, tu es investi depuis plus de 30 ans dans le sou-tien aux migrant·es et l’aide aux sans-papiers. Peux-tu nous dire en quelques mots quel a été le rôle de la CGT, de la FERC dans ce combat ?

Le rôle de la CGT en solidarité avec les sans-papiers s’est particulièrement affirmé à partir des années quatre-vingt-dix. Il y avait certes, auparavant, des proclamations internationalistes et antiracistes. Mais entre l’« arrêt de l’immigration » prôné en 1974 et la visite de Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, aux sans-papiers qui occupaient l’église Saint-Bernard en 1995, une évolution positive s’est opérée. Elle s’est manifestée entre autres par une campagne contre le racisme de janvier à mars 1995, un débat à la Commission Exécutive Confédérale en octobre 1995, une carte-pétition début 1996 pour l’abrogation des lois Pasqua-Méhaignerie à l’initiative du Bureau Confédéral : le collectif confédéral des travailleur·ses migrant·es, animé par Gérard Chemouil, a contribué à une sensibilisation des militant·es de la CGT.

La 8ème conférence CGT sur l’immigration, réunie les 4 et 5 avril 1996, a marqué un tournant, visant à impliquer toute la CGT dans la bataille. « Ce n’est plus une activité à part, pratiquée par quelques spécialistes de toutes origines, c’est aujourd’hui incontournable dans la construction d’un rapport de forces » écrira Didier Niel, secrétaire confédéral dans la Tribune de l’immigration. Le discours syndical deviendra de plus en plus clair, notamment face au surgissement de « syndicats » FN. L’imposture sociale de l’extrême droite ne date pas d’aujourd’hui.
Le 48ème congrès confédéral de Lille, en avril 2006, revendique la « régularisation de tous les sans-papiers ». Avec les grèves de travailleur·ses sans-papiers à partir de 2008, la CGT devient, non plus un soutien extérieur, mais une actrice directe de la lutte pour la régularisation.

C’est dès la fin des années quatre-vingt-dix que je serai mandaté par le bureau de l’UD 94, puis par la FERC dans le collectif confédéral des travailleur·ses migrant·es. L’apport de la FERC y a été important, en termes d’engagement militant dans les luttes pour la régularisation, dans la participation à des actions unitaires, comme les « Semaines de l’Éducation contre le racisme » ou avec le collectif pour le droit des enfants roms à l’éducation (CDERE). Ces actions réunissaient chaque fois des syndicats et des associations. L’apport de la FERC a aussi été important en termes de moyens matériels, notamment des heures de décharge syndicale nécessaires pour des activités aussi chronophages, attribuées entre autres à Richard et moi-même. Comme les moyens de la FERC sont limités, c’était le signe d’un engagement important de la fédération dans cette lutte.

La FERC CGT, avec d’autres organisations syndicales, a donc joué un rôle important dans les origines du Réseau Éducation Sans Frontières (RESF) ?

Dès le départ, le syndicalisme y a été impliqué. C’est à la Bourse du travail de Paris, un lieu rempli d’histoire pour le mouvement syndical, que s’est créé le RESF le 26 juin 2004. C’est le résultat de la rencontre entre collectifs préexistants, notamment le collectif du lycée Jean-Jaurès de Châtenay-Malabry (92), d’où est venue la première version de l’Appel fondateur [1] , animé par Richard Moyon et Armelle Gardien, et le collectif de défense des élèves, étudiant·es et enseignant·es étranger·es de l’académie de Créteil, que j’animais au titre de la FERC CGT avec Jean-Michel Delarbre, qui représentait le SGEN-CFDT.
Ce collectif de Créteil a été créé en 1994 en réaction à une circulaire interministérielle inspirée par Pasqua, ministre de l’intérieur de l’époque, qui interdisait le réemploi à l’issue de leurs études des « maîtres auxiliaires étrangers » (MAE), enseignant·es contractuel·les recruté·es parmi les étudiant·es étranger·es. C’était au départ une question syndicale revendicative : on défendait des salarié·es contre le ministère de l’Éducation pour leur réemploi et contre Pasqua pour leur droit au séjour. Le collectif de Créteil s’est vite élargi aux autres syndicats de l’éducation (FSU, Solidaires…), à la FCPE et aux organisations antiracistes (LDH, MRAP, GISTI…), il a eu un écho national.
C’est par le biais syndical que nous avons été alerté·es des conséquences de la politique de Pasqua sur nos élèves. Les camarades du lycée des Carrières à Vitry-sur-Seine ont constaté que Moussa n’était pas revenu d’un stage en entreprise. À la suite d’un contrôle au faciès, il avait été expulsé vers Bamako. La mobilisation de ce lycée et au-delà, a abouti à son retour en France et à sa régularisation. Le champ d’intervention n’était dont pas limité aux MAE comme Maïmouna, Rachid ou Rabia. Il s’étendait aux parent·es d’élèves et aux lycéen·nes comme Leopoldo et Ravaka.
Le réseau a vite rassemblé des syndicats et associations, notamment dans le monde de l’éducation, à commencer par celles et ceux qui étaient parties prenantes des collectifs préexistants : FERC CGT, FSU, SGEN-CFDT, SUD-Education, et surtout la FCPE, qui assurait un relai dans beaucoup d’écoles et établissements. Au départ, c’est surtout la FCPE 94, déjà engagée dans le collectif de Créteil avec son président Alain Bush et la FCPE 92 qui ont participé à la fondation du RESF. Puis le réseau s’est élargi à toute la FCPE, ajoutons la LDH, le MRAP, le GISTI, la FASTI…
Mais, bien au-delà des organisations qui ont signé l’Appel fondateur, les collectifs locaux regroupent de simples citoyen·nes vite devenu·es des militant·es très actif·ves.

Le RESF se limite-t-il aux élèves et aux parent·es sans-papiers ?

Il est important que l’angle d’attaque reste le sort des élèves et parent·es d’élèves. Mais à travers le monde de l’éducation, c’est toute la société que nous voulons interpeler. Le réseau ne se désintéresse pas des autres populations persécutées par les lois xénophobes. Dès 2006, nous avons aidé à la création du Réseau Universités Sans Frontières (RUSF). Cette année, un guide unitaire, intitulé « Accompagner les étudiantes et les étudiants étrangers avec ou sans papiers » [2] , vient d’être élaboré par les syndicats étudiants ou enseignants du supérieur (dont la CGT FERC Sup), le GISTI, la LDH… Le RESF s’engage aussi auprès des travailleur·ses sans-papiers en lutte, appuyé·es par les syndicats de salarié·es.

Quelles sont les perspectives du RESF ?

La nomination d’un ministre de l’intérieur « RN compatible » ne présage rien de bon. Les législations sur l’immigration n’ont cessé de se durcir. Cela n’a pas diminué le nombre de sans-papiers, au contraire. En revanche, les discours racistes sont banalisés, voire légitimés. Les lois xénophobes ont fait sauter les digues, le RN est le seul à en profiter. L’espoir viendra des mobilisations de la jeunesse qui sauront lier le droit au séjour et la lutte contre l’extrême droite. Le droit à la scolarisation de tou·tes les jeunes, quelle que soit leur nationalité, quel que soit leur statut reste une préoccupation essentielle pour la jeunesse.
Là encore, le syndicalisme répondra présent.

Régularisation des sans-papiers, un combat incessant

Les luttes menées par les travailleuses et travailleurs sans papiers, avec leur apogée l’occupation de l’église St Bernard à Paris, aboutissent en 1997, à la régularisation de 80 000 d’entre elles et eux. Mais « le diable se cachant dans les détails » les circulaires d’application laissent la place à des interprétations restreignant ou niant les droits obtenus.
Dans l’éducation, nombre d’enseignant·es, d’étudiant·es et d’élèves se sont retrouvé·es menacé·es de reconduite à la frontière.
Pour empêcher ces drames humains, la FSU avec le SNES (G. Aschiéri et Y. Bonnet), le SGEN-CFDT (J. Luc Villeneuve), l’UNSEN et la FERC que je représentais ont créé un « comité national de défense des MA, étudiants et élèves étrangers ».
Il s’agissait d’être à leurs côtés, de les accompagner dans leurs démarches auprès des préfectures et des tribunaux, de donner de la visibilité à leurs problèmes en s’appuyant sur les mobilisations des syndiqué·es, des personnels, des associations – parent·es d’élèves, Cimade, Gisti… - et d’élu·es pour faire reculer « l’autorité administrative ».
Conférences de presse, rassemblements, manifestations, les initiatives ont été nombreuses. La plus emblématique sera l’installation d’une classe « sauvage » à la cartoucherie de Vincennes avec le concours d’Ariane Mouchkine et du théâtre du Soleil.
Si, grâce à ces solidarités, de nombreuses poursuites ont été abandonnées, des régularisations gagnées, les menaces n’ont jamaiscomplètement cessé rendant nécessaire la pérennisation de mobilisations qui, par la suite, se sont structurées dans le réseau RESF.

Réseau Éducation Sans Frontières : 20 ans de combats

RESF a 20 ans ! Quand il a été fondé le 26 juin 2004 à Paris, personne n’imaginait qu’il aurait une telle histoire ni une telle… longévité.

Il a eu, également, une longue gestation ! En 1995, Issa, un élève mauritanien du lycée technique et professionnel Jean-Jaurès (Châtenay-Malabry 92) annonce à ses profs « Je vais être expulsé ». Personne dans l’établissement ne savait ce que cela signifiait !

Il était évidemment hors de question pour des enseignant·es de laisser expulser un de leurs élèves sans réagir. Pétition signée massivement par le personnel, les élèves et les parent·es, accompagnement de la famille au tribunal administratif. Issa et son frère finiront par être régularisés !

Un réseau commence à prendre forme

La machine était lancée. À chaque rentrée, les profs informent leurs classes de leur volonté d’être prévenu·es dès qu’un·e élève avait des problèmes de papiers et, chaque année, deux, trois ou quatre élèves sont régularisé·es avec le soutien de l’établissement. Christ-Fanie, Ursule, Nina, Aboubakar, la liste des prénoms est longue…

Mais le ministre de l’Intérieur, Sarkozy, durcit les textes sur l’immigration (obstacles au regroupement familial, durée de rétention portée de 12 à 32 jours). Le nombre d’élèves se retrouvant en « situation irrégulière » augmente considérablement. Au troisième trimestre 2004, les cas de Sandrina et Gladys, lycéennes de Jaurès, sont médiatisés (France Info, Le Parisien) et elles sont régularisées !

De plus en plus d’établissements contactent le lycée Jean Jarres pour savoir comment réagir devant des situations comparables. Contact est pris avec le Collectif unitaire de défense des élèves, étudiant·es et enseignant·es étranger·es qui, dans l’académie de Créteil, agit depuis plusieurs années pour la régularisation
d’élèves sans papiers. Voir interview de Pablo Krasnoplolsky responsable FERC et militant RESF.

Un appel, d’abord intitulé « Appel de Jean-Jaurès à la régularisation des élèves sans papiers » est alors lancé. Les syndicats enseignants, la FCPE, la Cimade, la LDH, le MRAP, le GISTI, au total 70 organisations en quelques semaines le signent. Elles seront 182 en 2006…

Juin 2004, création de RESF

Le 26 juin 2004 se tient à la Bourse du Travail à Paris l’assemblée qui fonde le Réseau Éducation Sans Frontières, une structure très informelle : chaque collectif local est autonome, pas d’élection, pas de direction mais néanmoins une réelle coordination grâce aux listes sur internet qui permettent d’informer tout le monde, de faire connaître les mobilisations, de partager les idées et les initiatives qui génèrent une solidarité… efficace !

Dès septembre 2004, les actions se multiplient dans les lycées, les collèges, les écoles primaires et maternelles.
De nouvelles formes d’actions sont inventées et se répandent très vite : diffusion sur des listes locales et nationales des situations de jeunes et/ou de familles menacé·es d’expulsion, messages des adresses mail des préfet·es signataires des OQTF, du ministre de l’Intérieur et des membres de son cabinet, du premier ministre
et de l’Élysée, chacun·e étant invité·e à leur adresser un courriel personnel exprimant ce qu’il/elle pense de leurs actes. Une liste « resf.info » qui comptera plus de 30 000 abonné·es est spécialement dédiée aux cas les plus urgents. Les boîtes mail des responsables explosent.

Des mairies, des écoles, des collèges, des lycées affichent des banderoles revendiquant la régularisation de leurs élèves sans papiers et de leurs parent·es.

Des rassemblements ont régulièrement lieu, à Paris et devant de nombreuses préfectures et sous-préfectures. Les parrainages, ces cérémonies au cours desquelles des familles ou des jeunes sont placé·es sous la protection de personnalités et/ou d’élu·es se multiplient. Des élu·es et des personnalités locales ou nationales interviennent directement auprès des préfet·es et des ministres. Quand ils/elles sont informé·es du vol d’expulsion, des soutiens se rendent à Roissy avec un tract, interpellent les passager·es, décrivent la façon dont les futur·es expulsé·es sont embarqué·es, ligoté·es, bâillonné·es, porté·es comme des paquets, attaché·es à leur siège. Ils et elles les encouragent à refuser de s’asseoir, bloquant le décollage tant que le/la sans papiers n’est pas débarqué·e. Certain·es commandant·es de bord ordonnent le débarquement du/de la sans papiers, d’autres font monter les policier·es pour mater les passager·es et débarquer les plus récalcitrant·es.

Page une des quotidiens, hebdomadaires et mensuels, émissions à la radio et à la télévision, la presse relaie très largement les initiatives locales et nationales. De très nombreuses personnalités s’engagent aux côtés du Réseau, impossible de les citer toutes ! À partir du quatrième trimestre 2004 les arrestations d’enfants dans et à la porte des écoles se multiplient, à Metz, à Rennes, à Bordeaux,... Sarkozy fixe à 25 000 l’objectif annuel d’expulsions.

Mobilisation contre les tests osseux

En novembre 2004, la police se rend dans le collège de Pau où est scolarisé Samuel J, Ghanéen de 16 ans et demi. Un test d’âge osseux aurait « prouvé » qu’il avait 19 ans. L’affaire fait scandale, les enseignant·es sont indigné·es, les syndicats montent au créneau. Samuel est enfermé au centre de rétention du Mesnil-Amelot. Conduit à l’avion, il se débat et il est frappé. Débarqué il est condamné à un mois de prison à Fleury-Mérogis, au terme duquel il est jeté à la rue à 3 heures du matin, sous la neige. RESF le récupère et le renvoie à Pau où il vit caché pendant quatre mois avant que le tribunal administratif ne reconnaisse sa minorité. En 2010, l’état est condamné à lui verser 10 000 € de dommages et intérêts…

La détermination des militant·es RESF

En juin 2005 s’engage une affaire qui fera grand bruit… et reculer Sarkozy. Barbe M., Congolaise (RDC), s’est réfugiée en France avec quatre de ses enfants suite à la disparition de son mari opposant politique et après qu’elle-même ait été violentée sous les yeux de ses enfants. L’asile lui est refusé. Le 9 août, elle est placée en garde à vue. Ses deux aîné·es, Rachel 15 ans et Jonathan 14 ans, s’enfuient. RESF est contacté. Commencent 80 jours de cache-cache avec la police.

Barbe est assignée à résidence à Migennes, à 40 km de Sens où Grace entre en sixième et Naomie en CM1. Des parent·es se relaient pour les conduire chaque jour en classe mais l’Inspecteur d’académie les affecte d’autorité à Migennes. Quand Grace, accompagnée de parent·es et de soutiens se présente au collège Mallarmé à Sens, cette élève de sixième est bloquée par un cordon de policier·es !

Un appel intitulé « Vous nous prenez pour qui ? » revendiquant de cacher et de protéger les enfants menacé·es d’expulsion est signé de dizaines de personnalités.

Le 31 octobre 2005 Sarkozy recule devant l’ampleur des mobilisations dans des établissements scolaires de tout le pays. Il publie une circulaire qui suspend les expulsions de familles ayant des enfants scolarisé·es jusqu’à fin juin !

C’est une vraie victoire pour celles et ceux qui luttent contre les expulsions, et dès que le texte est paru, RESF lance sa campagne : « 30 juin 2006, Sarkozy ouvre la chasse à l’enfant ! » Un appel intitulé « Nous les prenons sous notre protection » assume : « Nous ne laisserons pas commettre ces infamies en notre nom. Chacun, avec les moyens qui sont les nôtres, nous leur apporterons notre soutien, notre parrainage, notre protection. S’ils nous demandent asile, nous ne leur fermerons pas notre porte, nous les hébergerons et les nourrirons ; nous ne les dénoncerons pas à la police. » Il recevra plus de 135 000 signatures dont celles de centaines de personnalités, artistes, élu·es, intellectuel·les, écrivain·es, scientifiques, cinéastes… Des parrainages ont lieu à l’Assemblée nationale, au Sénat.

Le gouvernement commence à reculer

Sarkozy sent le vent monter. Il recule une nouvelle fois. Le 13 juin 2006, il publie la circulaire la plus favorable aux familles sans papiers qui n’ait jamais existé (page ci-contre) : ont droit à un titre de séjour les parent·es résidant en France depuis deux ans et ayant un·e enfant scolarisé·e depuis septembre 2005 ! Les préfectures sont prises d’assaut par des centaines de familles… Selon le ministère de l’Intérieur, 30 à 35 000 dossiers auraient été acceptés. L’application de la circulaire est suspendue à la mi-août. Sarkozy annonce que 6 924 titres de séjour ont été délivrés. Le Monde révèlera qu’ils et elles ont été en réalité 22195 à avoir obtenu un titre de séjour.

Le combat des « mille de Cachan »

L’été 2006 est marqué par un autre combat important, celui des « mille de Cachan ». Le 6 août, la police met à la rue des familles sans papiers qui squattaient depuis trois ans une résidence universitaire. La solidarité se manifeste immédiatement. La mairie de Cachan ouvre un gymnase à ces 250 personnes dont une soixantaine d’enfants, de nombreuses associations dont Droit devant, Droit au logement (DAL) et RESF ainsi que beaucoup de personnalités apportent leur soutien. Six sans papiers débutent une grève de la faim qui durera 45 jours. La médiatisation est très importante. Les soixante enfants sont parrainé·es une première fois le 21 septembre à l’assemblée nationale, une seconde fois 8 jours plus tard au Bataclan… Le gouvernement finit par céder : le 7 octobre, après des jours de négociations, il s’engage à reloger l’ensemble des occupant·es dans des centres d’hébergement et à réexaminer les dossiers des sans-papiers.

Sarkozy à l’Élysée

En mai 2007, Sarkozy accède à l’Élysée, Hortefeux est nommé sinistre de l’Immigration. Les préfet·es ont des quotas annuels d’expulsions à exécuter. Guéant se félicite d’avoir procédé à 32 000 expulsions en 2011. Cela conduit à des situations qu’on croyait impossibles dans un pays civilisé : couples séparés, familles démembrées, parent·es et enfants arrêté·es au petit matin. Des faits qui, le plus souvent suscitent les réactions indignées des
écoles, pétitions, banderoles, rassemblements. Impossible d’énumérer les horreurs commises sous Sarkozy-Hortefeux-Besson-Guéant… même si dans de nombreux cas la mobilisation les a obligés à reculer, voire à autoriser le retour de celles et ceux qu’ils avaient expulsé·es.

Les vives réactions des élèves et des enseignant·es à chaque arrestation font que, sans que cela soit dit, les arrestations et les expulsions de jeunes scolarisé·es cessent.

Mai 2012 Hollande Président

Mai 2012 : François Hollande devient président de la République. Il avait pris l’engagement de ne plus mettre d’enfants en rétention…

Novembre 2012, son ministre de l’Intérieur, Manuel Valls publie une circulaire qui permet la régularisation de sans-papiers présent·ees depuis 5 ans et qui ont un emploi depuis 8 mois, les jeunes arrivé·es avant 16 ans et scolarisé·es depuis 2 ans et, mesure qui aura le plus d’effet, les parent·es présent·es depuis cinq ans et ayant un·e enfant scolarisé·e depuis 3 ans peuvent aussi bénéficier d’un titre de séjour. Selon une déclaration du gouvernement en 2023, cette circulaire aurait permis la régularisation de 335 000 parent·es sans papiers de 2012 à 2022. Et, de fait, ces conditions restent celles qui sont encore appliquées avec plus ou moins de rigueur par les préfectures.

Pour le reste, Manuel Valls, ministre de l’Intérieur et puis premier ministre « de gauche » s’inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs … En août 2012 il fait expulser par charter 240 Roms vers la Roumanie… et il reprend avec ardeur le démantèlement des familles y compris avec des enfants scolarisé·es. Impossible d’en dresser la liste. La famille Gashi avait été expulsée au Kossovo en janvier 2012 alors que l’un·e de ses enfants, Blendon (11 ans) était hémiplégique et devait être opéré quelques jours plus tard à Reims, une intervention impossible au Kossovo. Après des mois de campagne et alors que son état de santé se dégradait considérablement, les parent·es de Blendon étaient finalement autorisé·es à le faire opérer à Reims… à condition de financer eux-mêmes l’intervention.

L’affaire Léonarda

En octobre 2013, le bus scolaire dans lequel se trouve Léonarda est stoppé par la police. Elle est arrêtée sous les yeux de ses camarades, rejoint sa mère et ses cinq frères et soeurs en rétention. Ils et elles sont expulsé·es le 9 octobre. L’affaire soulève une très large émotion et déclenche des manifestations de lycéen·nes, 24 établissements sont bloqués. Valls est mis en cause, une crise politique naît.

Hollande s’était engagé « à interdire les placements en rétention des familles avec enfants ». Pourtant 45 enfants sont placés en rétention en 2014, 105 en 2015, 182 en 2016. En juillet 2016, la France est condamnée par la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Mais à partir de 2016, les expulsions de jeunes scolarisé·es se font de plus en plus rares : les gouvernant·es ont compris que le milieu scolaire, enseignant·es, parent·es d’élèves et lycéen·nes se mobilisent systématiquement
pour les empêcher. Dès lors Valls et ses successeurs, les ministres de l’Intérieur de Macron se rabattent sur un public bien plus fragile : les mineur·es isolé·es étranger·es.

Élection de Macron en 2017

Macron se fixe pour objectif de diminuer le nombre de demandeur·ses d’asile en accélérant les procédures d’examen - et de rejet ! - des dossiers.

En décembre 2023, il assume la « loi immigration » qui, durcie par la droite sénatoriale, pioche dans les revendications du RN, une série de mesures finalement condamnées retoquées par la Conseil constitutionnel.
Le tournant encore plus à droite marqué par la nomination de Barnier à Matignon ne laisse évidemment présager rien de bon !

Le combat continue !

En 20 ans le Réseau Éducation Sans Frontières et les autres organisations solidaires des migrant·es sont loin d’avoir gagné tous leurs combats. Mais ils et elles ont quand même contribué à faire reculer les pouvoirs publics, à modifier un peu le regard de la société sur la migration même si, hélas, cela s’est avéré très insuffisant pour enrayer la montée du racisme entretenue par la RN et une large partie de la droite.