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 Bulletin IHS n°18

 

Le congrès de la transmission

Le 14e congrès de la Fédération de l’Éducation, de la Recherche et de la Culture s’est déroulé à St Pierre de Quiberon au mois de mai dernier. Même s’il est trop tôt pour dire qu’il sera historique, on peut noter que ses travaux et temps sorofraternels ont été marquants. Les délégué·es ont validé à une majorité écrasante le rapport de l’activité de l’équipe sortante menée par Marie Buisson (91,65 %). L’orientation pour les 3 ans à venir a été adoptée à plus de 91% et a confirmé la ligne résolument antifasciste de la FERC avec un texte contre les idées et pratiques de l’extrême droite voté à plus de 95 % et le renforcement de la Fédération dans le privé avec un texte sur le déploiement qui confirme un nouvelle organisation pour créer des syndicats dans les champs du sport et de l’éducation populaire. Une première aussi dans la CGT d’ancrer dans les statuts d’une organisation la création d’une cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles pour les éradiquer de notre organisation.

Ce congrès a aussi permis deux temps particuliers. D’une part une table ronde sur la question des enjeux du syndicalisme de demain, en pleine lutte contre la contre-réforme des retraites voulue par le gouvernement Macron/Borne. L’unité syndicale pleine et entière portée depuis des semaines interroge forcément comme le démontre l’intervention de Jean-Marie Pernod, notamment sur l’idée d’unification syndicale que porte la Fédération depuis plusieurs mandats désormais. Les représentants des organisations FSU, Solidaires et SGEN-CFDT, avec Charlotte Vanbesien pour la FERC, ont pu débattre d’éventuelles et/ou nécessaires évolutions du syndicalisme à venir. D’autre part, une soirée débat, à l’initiative de l’IHS, sur la question de « L’histoire de la syndicalisation de tout·es les enseignant·es à la CGT » en présence de 6 secrétaires généraux·ales (anciens, sortante et future) de la Fédération. Chemin semé d’embûches mais qui débouche aujourd’hui sur une Fédération en essor dans la CGT.

Pour finir, un congrès qui a permis de saluer des camarades qui ont marqué de leur empreinte la Fédération. Marie Buisson, secrétaire générale sortante qui laisse sa place à Charlotte Vanbesien, qui est la première secrétaire de la Fédération. Par son esprit et son action, elle a permis de développer un travail collectif qui a rendu la Fédération attractive pour ses organisations fédérées. Son credo « on est plus intelligent·es à plusieurs » a permis à toutes et tous de trouver sa place dans le travail fédéral. Catherine Perret qui quitte la CEF mais aussi son mandat au bureau confédéral où elle a mené deux batailles âpres contre les attaques de la retraite par points et la retraite à 64 ans, ne reculant ni devant Delevoye ni devant Borne, et où elle a défendu la formation professionnelle en convainquant notamment la Confédération, à force de séances de nuit, de ne pas signé l’ANI sur le CPF qui détruit les droits des travailleur·ses en matière de formation professionnelle.
Un nouveau mandat commence avec une équipe renouvelée, à l’histoire de juger ce qu’a été ce congrès.

Des Journées nationales d’étude stimulantes

Du 30 mai au 2 juin 2023, se sont tenues au Cap d’Agde des Journées nationales d’étude (JNE) des Instituts d’histoire sociale (IHS). Environ 70 représentant·es d’IHS principalement départementales ou fédérales étaient présent·es.
Pour l’IHS national, Gilbert Garrel a ouvert les débats en pointant, au travers d’un exposé historique l’importance de la question démocratique dans les luttes syndicales. Cette préoccupation politique n’est bien sûr pas sans rapport avec la forte mobilisation populaire que nous avons connue au sujet des retraites et des pratiques discrétionnaires du pouvoir macroniste.
Ces journées ont permis de voir vivre un IHS vivant et ouvert où se sont multipliés les débats formels et informels… Un colloque portant sur le thème de « syndicalisme et environnement » est prévu les 30 novembre et 1er décembre. Comment mieux répondre à l’actualité ? Plus d’info : IHS national = https://www.ihs.cgt.fr

L’environnement syndical au début des années 1980

Au début des années 80, le syndicalisme, particulièrement le syndicalisme CGT est confronté à d’importantes questions. Quelle démarche pour prendre en compte les mutations en cours ?
Des dizaines de milliers d’emplois sont supprimés dans l’industrie : sidérurgie, textile, navale… la financiarisation massive de l’économie s’accélère...
Comment « cultiver son jardin syndical » , adapter l’outil aux nouvelles réalités ?
Dans la Fonction publique, certain·es considèrent qu’il faut décentraliser les syndicats nationaux pour lutter contre la délégation de pouvoir et être plus en prise avec les réalités locales, d’autres pensent qu’il n’y a qu’à améliorer l’existant ; le syndicat national étant le meilleur rempart contre les poli-tiques de mise en cause du service public d’éducation et de recherche.

Réponse de G. Séguy, congrès de Grenoble :

[…] Si nous avons progressé ces dernières an-nées pour que la CGT tienne sa place dans le com-bat pour l’enseignement […] il est clair qu’il nous faut faire infiniment plus et rapidement.
Je propose que le congrès mandate la future direction confédérale pour qu’elle prenne toute disposition afin que, dans la CGT, nous soyons capables de répondre à cet impératif de lutte au niveau qu’impose la situation
[…] C’est à partir de là que nous pourrons valablement nous adresser aux enseignants pour leur faire connaître les positions de la CGT, à propos de l’enseignement, y compris la défense de leurs intérêts professionnels. […]
Est-ce que le simple fait d’ouvrir les portes de la CGT à ceux des enseignants qui le désirent créerait une situation fondamentalement nouvelle […]  ? Sincèrement nous ne le pensons pas.
[…] ce n’est pas là une attitude motivée par l’histoire ou les circonstances, mais par la fidélité à des principes unitaires auxquels nous sommes attachés et qui font toute l’autorité de la CGT, y compris parmi le personnel enseignant, face à l’adversaire commun (Décembre 1978).

C’est dans ce contexte que s’élabore des stratégies de recomposition syndicale.
Au printemps 1986, dans une interview au ”Nouvel Observateur”, Jean Le Garrec, secrétaire d’État à la Fonction Publique, indique que le Parti Socialiste a besoin de disposer de “relais syndicaux”. En conséquence, le PS encourage directement les tentatives de recomposition syndicale entre la FEN et la CFDT avec, en perspective, la construction d’un grand syndicat social-démocrate.
À la FEN, le projet de « L’école de l’an 2000 » s’accompagne de modifications structurelles qui visent à supprimer les tendances et à fondre les syndicats nationaux dans un syndicat unique, ce qui conduirait à la dissolution des syndicats à majorité « Unité&Action » dont le SNES et le SNEP…

Ces différents éléments percutent la règle implicite du statut quo qui perdure depuis la scission de 1947 ; les confédérations CGT et FO évitent toute concurrence à la FEN qui a ainsi le champ libre sur le terrain de l’École.
La CGT considère que les syndicats U&A dirigés par des militant·es communistes sont à la fois un substitut à l’activité qu’elle pourrait mener sur ce champ et des allié·es pour peser sur les décisions de la FEN à majorité UID (social-démocrate).
Cette situation contribue à faire de l’École un champ clos de la bataille idéologique entre sociale démocratie et positions de classe du PCF pour gagner en influence auprès d’une catégorie sociale qui joue encore un rôle important dans le pays. En 1981, plus de 30 % des député·es sont des enseignant·es.

Ces débats percutent les questions revendicatives de l’heure dans le champ de la Fonction publique, particulièrement celles relatives à la titularisation de personnels de l’Éducation et de la Recherche.
De plus, des débats idéologiques et politiques extérieurs aux organisations interférent et entraînent dans les syndicats des dégâts collatéraux.
C’est dans ce contexte qu’en 1984, FO rompt le consensus en présentant des listes aux commissions paritaires des enseignant·es. Ces listes obtiennent 14,82% dans le second degré et 11,36% dans le primaire. Ces résultats modifient les rap-ports de force dans la Fonction publique. Ils ravivent, au sein de la CGT, le débat sur la syndicalisation des enseignant·es. Les incompréhensions sur le maintien du statut quo s’amplifient.

Après la rupture du statu-quo…

Au CCN des 21 et 22 novembre 1984, Henri Krasucki rappelle dans ses conclusions la position de la CGT :
« compte tenu du développement des évènements, nous aviserons ensemble en fonction des évolutions réelles et tout bien pesé sans à priori, simplement, les yeux ouverts ».
Cette « stratégie » ne répond pas aux attentes des organisations CGT, fédération et syndicats de l’Éducation et de la Recherche.
En 1985, le SNETP-CGT réunit en congrès à la Rochelle acte la décision de FO et vote :
« […] la confédération doit prendre en compte cette situation nouvelle et mener sous sa responsabilité un vaste débat avec l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale et de la Recherche afin de créer partout où cela est souhaité par les personnels, des syndicats CGT dans les établissements scolaires, universitaires et de recherche. »
En avril 1986, la commission exécutive de la FERC, en accord avec l’UNSEN (ex SNETP) décide : « il nous faut démystifier le concept enseignant ; comme les autres salariés, ils peuvent adhérer, voter CGT ».

Interview d’Hervé Basire, ancien SG de la FERC

Ton parcours syndical est révélateur des bouleversements qu’a connus le mouvement syndical dans l’Éducation nationale ces dernières décennies. Peux-tu nous en donner les principales étapes ?

J’ai passé le dernier concours d’entrée à l’école normale de Rouen ouvert aux élèves de 3e, et j’ai été scolarisé au lycée ordinaire dans la banlieue de Rouen. Issu d’une famille plutôt de droite gaulliste, j’ai découvert l’action militante avec la lutte contre la loi Debré en 1973. Mes premières expériences, plutôt comme observateur, m’ont rapproché des Jeunesses communistes. Entré en formation professionnelle à l’école normale en 1975, je me syndique et prend aussitôt contact avec le courant de pensée Unité Action. Nous obtenons la majorité à la section syndicale forte de plus de 120 syndiqué·es face à l’École Émancipée car la majorité départementale UID (majoritaire nationalement et dans le départe-ment) ne peut même pas constituer de liste !
Je suis secrétaire adjoint, et nous lançons une grève nationale de 24h des écoles normales avec une première coordination des sections d’écoles normales… J’assure la présidence de cette réunion. Je découvre la réalité de la bureaucratie du SNI PEGC de l’époque : « ce n’est pas aux syndiqué·es de définir leurs revendications (… !!!) » répond un secrétaire à la délégation qu’il a été contraint de recevoir.

Mes premières années de carrière me permettent de confronter notre vision du syndicalisme aux collègues réuni·es en assemblées cantonales mais le jeu des « tendances » rend souvent peu constructif le débat !
En 1985, arrivé dans la région de Dieppe je re-lance le collectif local Unité Action. Notre première action sera une pétition de soutien à la CGT en grève dans la construction navale et pour soutenir un militant de la CGT des marins !

En 1986 nous animons localement la mobilisation contre la création du statut de « maîtres directeurs » avec les camarades de l’École Émancipée : nous imposons même une grève locale de 24h qui sera majoritaire. Après ce mouvement j’assure la direction du courant de pensée dans le départe-ment. Avec un réseau de 2 à 300 camarades, nous pesons environ 20% lors des élections internes (environ comme l’École Émancipée). En 1989 nous lançons le manifeste pour la revalorisation du métier d’instituteur·trice ! Nous rassemblons 1000 signataires, bien au-delà de notre réseau. Le statut de professeur·se d’école fut une des conséquences de ce mouvement même si la direction du SNI l’a négocié avec le gouvernement en bradant des avantages acquis et en instaurant une division du corps.

Je participe « en sauvage » au dernier congrès départemental du SNI (avec retenue sur salaire !) car on nous refusait les mandats nécessaires. Le syndicat se transforme en Syndicat des Enseignants. (SE FEN) et nous créons le « SNIPEGC maintenu », j’en rédige les statuts avec une camarade de l’École Émancipée. Celui-ci se transforme en SNUipp et je participe aux 2 premiers congrès nationaux de la FSU.
Les années 93 à 99 sont fructueuses car nous développons, avec le SNUipp, un syndicalisme de lutte et de masse proche des personnels (1000 adhésions dans le département, 100 dans le secteur de Dieppe). La lutte de 1995 nous fait reconnaître comme une force incontournable. Nous marchons « main dans la main » avec la CGT (UL et UD). Nous devenons le premier syndicat du département en majorité absolue rapidement. Je deviens 1 an secrétaire départemental de la FSU. Je quitte volontaire-ment cette responsabilité face à la difficulté de construire une pratique réellement fédérale.

Mais ces succès électoraux ont un revers : une évolution des repères revendicatifs, une volonté de ne pas choisir entre CFDT et CGT, une attitude am-bigüe avec le gouvernement Jospin.
Je dénonce le retour à « l’amicalisme » du SNUipp dans une tribune de la revue UA.
Sur le terrain nous continuons à mobiliser, mais les débats internes se tendent. Le débat d’idées riche dans Unité Action n’est plus vraiment possible ! Alors que j’ai animé une mobilisation très forte dans le secteur en 2003, je suis « interdit de congrès FSU 76 » en 2004. Les choix que je portais de rapprochement avec la CGT et les critiques que j’exprimais sur l’évolution des lignes revendicatives ne convenaient pas aux directions fédérales et syndicales du département. Cela me conduit à quitter la FSU pour rejoindre la CGT.

Tu es un militant politiquement engagé, comment les orientations de ton organisation (le PCF) ont-elles, à un certain moment pesé, ou non, dans tes choix d’investissement syndical ?

À vrai-dire très peu dans mon cas. En 1986 en prenant la responsabilité du courant de pensée, le camarade qui me précédait m’avait dit « sois d’abord syndical » je crois avoir retenu le message. À aucun moment mes camarades de la direction du PCF de cette époque n’ont débattu de nos choix et orientations…même si les militant·es communistes de la CGT ont longtemps gardé le réflexe de privilégier les rapports à la FEN puis la FSU. J’avais des relations avec des dirigeant·es régionaux du SNETP-CGT par ailleurs militant·es au PCF, nos échanges sur ce sujet étaient détendus et de bonne foi.

Penses-tu que si la décision de la CGT d’ouvrir son champ de syndicalisation avait été prise plus tôt (avant la création de la FSU) cela aurait permis un élargis-sement plus rapide en direction des per-sonnels du premier degré ?

La bascule de la FEN vers la FSU n’a déjà pas été sans débats dans nos sections majoritaires, une division de plus, sans doute très minoritaire, vers la CGT n’aurait pas conduit la grande majorité des syndiqué·es à faire des choix d’orientation positifs. À quelques rares exceptions, cette alternative n’était exprimée par personne. C’est après la lutte de 1995 que nous aurions dû travailler à ce rapprochement. Le contraire s’est produit ! Les blocages venaient me semble-t-il des deux côtés mais il faut dire que la tentative de la FEN d’imposer des décisions bureaucratiques sur les affiliations avait été un échec. J’ai toujours pensé que la volonté de rapprochement ne passait pas par des décisions de sommet, c’était un processus complexe à mener.

Tu as connu l’exercice du droit de tendance aussi bien dans la FEN que dans la FSU, penses-tu que cela représente une forme de garantie pour l’expression pluraliste des syndiqué·es ?

Cela fausse de beaucoup les débats : on est « clan contre clan », on perd du temps et des forces. Certes il y a des différences d’approche et des re-groupements naturels mais les figer est le plus sou-vent artificiel comme je l’ai vérifié sur mon secteur où les tendances de la FSU ne s’exprimaient plus. Cette organisation conduit les directions à ne plus chercher à construire l’unité mais à assurer « leur » majorité ! Les « minoritaires » ne peuvent peser sur les orientations.

Quelles ont été les réactions de tes cama-rades de la FSU lorsque tu leur as fait part de ton choix ? Comment vois-tu aujourd’hui le rapprochement CGT-FSU ?

Il y a eu un fort soutien des syndiqué·es locaux·ales dont une partie a adhéré à la CGT Éduc et une attitude très sectaire de certain·es dirigeant·es. Je continue de penser qu’il faut rassembler le syndicalisme, que les traditions d’unité de notre champ professionnel permettent d’y travailler. Il faut une volonté des directions mais cela ne pourra résulter que d’un processus qu’il est urgent pour moi de mettre en route.

Le militantisme syndical dans la CGT est-il très différent de celui que tu as connu à la FEN ou à la FSU ?

Ça dépend de quoi l’on parle. Mes mandats fédéraux et interpro (CESER et formation professionnelle…) ont été une expérience forte pour percevoir la richesse qu’offre une organisation interprofessionnelle mais je pense que cela n’est pas assez exploité dans nos pratiques et nos orientations. La fédéralisation en panne dans la FSU ne fonctionne pas mieux parfois dans la FERC. Un problème commun se pose dans la FSU et la CGT : comment prendre en compte les approches catégorielles ou d’identité professionnelle (fortes particulièrement dans le premier degré) en évitant le « corporatisme » et le repli catégoriel ?
Travaillons sans tabous toutes ces questions avec les militant·es de la FSU qui sont conscient·es pour certain·es des faiblesses de leur structuration.
L’histoire du syndicalisme CGT parmi les enseignant·es n’a pas été un long fleuve tranquille, les articles de notre bulletin concernant la possibilité, ou non, de syndicalisation de toutes et tous dans la confédération sont là pour le prouver.

Il vient de paraître...

Nos camarades Annick Guillochon, Daniel Chatel et Jean-Michel Joubier ont travaillé plusieurs années pour rassembler dans cet ouvrage « les chroniques du syndicat CGT de l’enseignement privé ». Un bel hommage à celles et ceux qui ont été les premier·es responsables du syndicat, une approche historique sur la construction de ce syndicat. Nous nous réjouissons de la parution de leur ouvrage et nous vous en conseillons vivement la lecture.
Comme de nombreux ouvrages de différent·es éditeurs et éditrices, des ihs issus des professions et des territoires, celui-ci sera disponible lors du 6e salon du livre d’histoire sociale organisé par l’institut CGT le mardi 7 novembre au siège de la CGT dans la patio Georges Séguy. Venez nombreux·ses.