UN #MEETOO DE L’ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE

La prise de conscience des violences systémiques en milieu scolaire a été un séisme considérable pour l’Éducation nationale. C’est particulièrement le cas pour l’enseignement catholique (EC).
Le scandale de Bétharram, mis au jour par Médiapart, n’a rien d’une surprise : dès 2021, le rapport Sauvé dressait un constat accablant mais passé finalement assez inaperçu. Peu étonnants également les mensonges de F. Bayrou : l’entre-soi et l’entraide des élites ne sont pas faits exceptionnels. Plus surprenante, l’ampleur de la libération de la parole. L’expression « #MeeToo de l’Enseignement catholique » convient assez bien à ce à quoi nous assistons. L’enjeu est désormais de convertir ces témoignages en profonde mutation de la gestion des violences.
Par sa présence sur le terrain, la CGT-EP connait les manques et les dérives des établissements privés sous contrat. À la fois plus préoccupés de leur réputation que de la réalité, plus soucieux de leurs intérêts financiers que de leurs responsabilités légales, ils génèrent, alimentent et laissent perdurer la violence en toute impunité. Ils doivent changer de paradigme. Il est de notre responsabilité militante d’y contribuer.
A cet effet, notre syndicat tâche de faire entendre ses analyses le plus largement possible : dans ses communications, mais aussi dans les médias et auprès des instances qui nous reçoivent. Ces dernières semaines, nous avons donc pris la parole dans les rectorats, au ministère et été auditionné·es à l’Assemblée nationale. Ces interventions ont découlé d’une préparation collective : travail préalable sur les ressources syndicales, consultation des collègues et rédaction d’écrits remis ensuite à nos interlocuteur·ices.
L’analyse de la CGT-EP
Préalable à tout : il est incontournable de reconnaitre que les violences existent dans le milieu scolaire. Dans leur grande majorité, les personnels en sont conscients et souhaitent réagir. S’il y a déficit de signalement, il est lié à la fois à la méconnaissance des procédures et aux postures problématiques de l’institution (directions, DDEC, congrégations…).
Ainsi, la parole des victimes est trop souvent minimisée ou invisibilisée notamment en raison d’une tradition patriarcale très ancrée. Le fait d’accorder à l’EC la possibilité de s’affranchir de l’Éducation nationale, de ses structures (INSPE, formation continue…) et textes réglementaires (laïcité, circulaire relative aux élèves transgenres, vaccination, ÉVARS [1], Boussole…) accentue d’autant son repli sur soi. Les pouvoirs publics doivent intervenir et garantir que l’application des textes ne s’arrête pas dès que la notion de « caractère propre » est brandie.
La mise en œuvre de formations initiales et continues communes à l’enseignement public et privé est donc incontournable. L’ensemble des personnels – enseignant·es, AESH, personnels de droit privé – doit en bénéficier.
De même, il y a nécessité d’uniformiser les protocoles de signalement des violences et de les diffuser dans tous les établissements – y compris privés. Ils doivent permettre de passer outre la hiérarchie interne tentée d’étouffer la parole des victimes et les remontées d’informations.
Enfin, il est essentiel de garantir une véritable protection des lanceur·euses d’alerte. V.Spillebout précise elle-même que nombre d’alertes ont été portées par des femmes, ensuite marginalisées ou pénalisées pour avoir dénoncé des abus. De même, la situation des maîtres délégué·es et des personnels de droit privé les rend particulièrement vulnérables. La fin de la précarité et le respect des droits des salarié·es sont des leviers essentiels pour favoriser les signalements et garantir un environnement scolaire plus sûr.
À l’Assemblée nationale et au Ministère
Mise en place le 19 février 2025, la commission d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires est directement issue des révélations de violences à Bétharram. Fréquemment nommée commission Vanier-Spillebout du nom de ses corapporteurs, elle a procédé à une cinquantaine d’auditions.
Le 30 avril, durant une petite heure, c’était au tour des syndicats représentatifs de l’enseignement privé sous contrat d’être reçus à l’Assemblée nationale. Deux représentantes de CGT-EP y participaient aux cotés de celleux de la CFDT, CFTC et SPELC : beaucoup de points abordés (prévention des violences, formation des personnels et élèves, protocoles de signalement, protection des lanceur·euses d’alerte et moyens nécessaires) sur un temps extrêmement contraint.
Le 5 mai, une délégation CGT Éduc’action et CGT-EP a été reçue rue Grenelle sur ces mêmes sujets. Aux revendications portées une semaine plus tôt, se sont ajoutées d’autres, plus spécifiques. D’abord la demande que le guide de contrôle de l’enseignement privé soit communiqué aux syndicats puisqu’il l’a été au SGEC qui en a même négocié le contenu. Nous avons également pointé le fait que l’accès aux F3SCT [2] est refusé aux enseignant·es des établissements privés sous contrat, que les sanctions à l’égard des établissements doivent être appliquées mais avec égalité de traitement (Averroès, Stanislas…), que l’administration ne doit pas laisser l’EC s’affranchir des textes ou les interpréter (EVARS) au nom de leur « caractère propre ». En réponse, le MEN a affirmé travailler sur la gradation des sanctions contre les établissements, la possibilité d’accès aux F3SCT et réfléchit à la transmission du guide de contrôle.
Merci aux camarades de la CGT Éduc de nous avoir épaulé·es sur ce dossier.
Sondage Violences en milieu scolaire dans l’enseignement privé
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Les personnels dénoncent la peur et le silence
Dans le cadre de l’audition par la commission parlementaire sur les violences en milieu scolaire, la CGT Enseignement Privé a recueilli 636 témoignages de personnels de droit privé (vie scolaire, administration…) et de droit public (enseignant·es, AESH).
Leurs réponses illustrent une réalité préoccupante que la CGT EP dénonce depuis des années : les personnels - qui veulent agir face aux violences - se heurtent à un mur d’inertie, de peur et parfois de répression, alimenté par l’institution à savoir majoritairement l’enseignement catholique.
Alors que 90 % des collègues affirment leur volonté d’intervenir lorsqu’un·e élève est victime de violences, la majorité des signalements reste confinée à l’intérieur des établissements. Incités à suivre uniquement la voie hiérarchique, les personnels s’adressent d’abord aux chefs d’établissement (80 %), mais trop souvent, aucun retour n’est fait. Ce silence institutionnel alimente la méfiance et le découragement. Nombreux sont celleux qui doutent que les signalements soient réellement pris en compte ou suivis d’actions. En cas de signalement de violence, la CGT-EP demande que l’administration soit mise dans la boucle des procédures au plus tôt.
Plus préoccupant, des collègues relatent les pressions directes qu’iels ont subies après avoir signalé des faits : mise à l’écart, dénigrement, surveillance, voire perte d’emploi, notamment pour les personnels précaires ou de droit privé. Ces directions, avec l’appui de l’EC, protègent l’image de l’établissement plutôt que les élèves ou les personnels. Ce réflexe de protection institutionnelle participe activement à l’omerta. La CGT-EP demande que les employeurs publics comme de droit privé respectent leur obligation de protection des lanceur·euses d’alerte.
La peur de représailles est clairement un facteur central d’inaction. Elle s’ajoute au manque de formation, à l’absence de procédure claire, et à l’ignorance des dispositifs de protection des lanceur·euses d’alerte (connus par moins d’un tiers des personnels interrogés). Loin de garantir un cadre sécurisé, les directions sont perçues comme des obstacles au traitement des violences, voire comme des sources elles-mêmes de violences dans certains cas. La CGT-EP demande un cadre clair et des protocoles communs public-privé en cas de violence.
Beaucoup de collègues expriment un profond sentiment de solitude et d’abandon, et demandent donc explicitement :
- des formations juridiques et au recueil de la parole,
- une clarification des circuits de signalement, tournés davantage vers l’extérieur (rectorat, justice...),
- une protection effective pour les victimes et celleux qui osent parler.
Les réponses obtenues montrent que la gestion des violences dans l’enseignement privé souffre d’un verrou institutionnel. Tant que la parole sera muselée, que les directions protégeront d’abord leur réputation, et que les personnels qui alertent – notamment les militant·es syndicaux - seront punis au lieu d’être soutenus, aucune lutte efficace contre les violences ne sera possible.
La CGT-EP appelle donc à un changement de cap urgent : pour protéger réellement les élèves et les personnels, il faut mettre fin à l’impunité, briser les silences et fournir à l’administration les moyens (humains et financiers) de faire appliquer la loi partout, y compris dans l’enseignement privé.
Briser l’omerta, c’est risquer d’être broyée
Témoignage de Sarah, enseignante et lanceuse d’alerte
En signalant les agressions sexuelles commises par un surveillant dans son établissement, Sarah, prof de philo d’un lycée privé sous contrat à Vincennes, pensait faire ce qu’il fallait : protéger ses élèves. Alors qu’elle espérait écoute et protection, elle s’est heurtée à un système où l’omerta est la règle et l’alerte un danger. Quand elle devient DS CGT, les représailles internes - orchestrées par sa direction - s’amplifient.
Pourquoi avoir choisi de parler malgré les risques ?
Quand plusieurs élèves m’ont révélé avoir été agressées par un surveillant, je ne pouvais pas me taire. Dès avril 2023, j’ai informé ma direction. Je pensais qu’elle agirait, car je lui faisais confiance. Mais j’ai découvert que « l’intérêt » de l’institution passait avant tout : le fameux « Pas de vagues ». Selon elle, ces VSS n’étaient que de « l’affection mal placée »
Comment les autorités ont-elles réagi ?
Face à l’inaction, j’ai fini par saisir le rectorat et déclencher l’article 40 auprès du procureur en octobre 2023. Le rectorat est resté silencieux jusqu’en février 2024 alors qu’il avait accepté de recevoir le proviseur dès décembre. Parallèlement, la justice a fait son travail : en octobre 2024, le surveillant a été condamné à 24 mois de prison avec sursis pour agressions sexuelles sur mineures de 15 ans au préjudice de 8 victimes.
Pour ma part, c’est une procédure disciplinaire que j’ai reçue du rectorat ... Je n’en reviens toujours pas !
Et dans l’établissement ?
Dans l’établissement, c’est une autre conception de la justice, plus vindicative. Le chef d’établissement m’a fait porter toute la responsabilité du scandale. Il a nié les signalements, a prétendu « lancer » une enquête alors qu’il existait déjà des dizaines de témoignages. Certains de mes cours ont été supprimés, mon adresse personnelle diffusée, ma voiture dégradée. Des élèves ont été intimidé·es et - au nom de la « loyauté » dira un collègue - 54 profs ont signé une pétition me décrivant comme « dangereuse, source de risques psychosociaux ». Face à ce climat de harcèlement, j’ai craqué. Depuis, je suis arrêtée et au mouvement, j’espère changer d’académie.
Pourquoi une telle violence contre les lanceur·euses d’alerte ?
C’est un réflexe institutionnel de défense. Dans le privé, on protège l’image avant les personnes. On fait pression, on vous pousse à craquer, on vous rend coupable. Ce que j’ai vécu n’est pas un cas isolé : discréditer les lanceur·euses d’alerte est une méthode bien rodée.
Selon toi, que faudrait-il changer ?
Obliger les rectorats à assurer la protection des agents et élèves et donc faire systématiquement remonter au ministère les dérives. Déclencher l’art.40 sous peine de sanction. Appliquer une tolérance zéro et donc suspendre immédiatement les contrats d’association le temps des enquêtes. Protéger les lanceurs d’alerte : protection fonctionnelle immédiate, et si la personne le souhaite aide du rectorat à la mutation y compris avec possibilité pour l’agent de basculer dans le public.
Le témoignage de Sarah est une illustration – parmi d’autres – de la difficulté d’être lanceur·euse d’alerte dans l’enseignement privé. Il est urgent de garantir la protection de ces personnels tout en développant les stratégies syndicales de lutte collective.