Lutte contre les discriminations Société

 OIT : négociations sur les violences sexistes et sexuelles et le harcèlement au travail

 

En direct de l’OIT. 28/05, 1er jour : évaluation du rapport de force

La 107e conférence de l’Organisation Internationale s’est ouverte lundi 28 mai, avec comme sujet principal à l’ordre du jour la convention contre les violences et le harcèlement au travail. Devant les gouvernements, les représentant.e.s des travailleurs.es et des employeurs du monde entier réunis pour la séance plénière, Guy Ryder, Secrétaire général de l’OIT, a insisté sur le contexte et le rôle précurseur de l’OIT sur les violences sexistes et sexuelles. La question a été inscrite à l’ordre du jour (grâce à la bataille de la Confédération Syndicale Internationale) en 2015, bien avant #metoo, et si la conférence aboutit, l’OIT proposera un cadre mondial sur un sujet encore très peu traité par les gouvernements et la négociation collective.

Les travaux en commission thématique ont ensuite commencé. Signe de son enjeu, la commission consacrée à la norme contre les violences fait salle comble. La séance était consacrée aux déclarations liminaires de chaque groupe, permettant ainsi de donner le ton sur le sens et l’enjeu des débats des 12 prochains jours. L’enjeu principal du jour : aura t-on une convention, instrument normatif qui s’impose aux États qui la ratifient, ou une simple recommandation, sorte de recueil de bonnes pratiques ? La représentante des employeurs, une patronne australienne, a ouvert le bal, insistant – comme c’est original – sur l’enjeu de la souplesse, et sur la bataille culturelle à mener, peut-être plus importante que la mise en place de réglementation. Mais, signe du rapport de force, elle a été contrainte de souligner l’enjeu de la lutte contre les violences et n’a pas formellement repoussé l’adoption d’une convention normative.

Au tour ensuite de Mary Clark, la porte parole des travailleuses et travailleurs, Secrétaire générale du syndicat des travailleurs Canadiens (CTC). Après avoir salué la qualité de la proposition de l’OIT, elle a conclu sous les applaudissements des travailleurs et travailleuses : « Le monde nous regarde, après #metoo, nous ne pouvons pas ne pas adopter une convention qui soit conforme à la nature visionnaire de l’OIT ». Peu coutumiers dans cette enceinte, les applaudissements ont donné le ton des attentes et des exigences.

Les interventions des gouvernements ont ensuite été longues, étant donné qu’il n’y avait pas de position unifiée, ni au niveau mondial, ni au niveau des continents.
La Bulgarie, au nom de l’Europe, a ouvert le bal, affichant une position probablement gagnée par les pays qui soutiennent une convention (France, Grande Bretagne, Belgique, Italie, Irlande, Portugal…) : « nous sommes ouverts à une convention complétée par une recommandation ». L’Espagne a brillé par son imagination : pour éviter d’avoir à donner sa position sur le débat convention ou recommandation, elle a proposé l’adoption d’une « motion », texte sans aucune portée juridique. La France et la Belgique ont fait des interventions volontaristes, insistant sur l’enjeu d’avoir une convention de haut niveau, transversale, identifiant clairement les violences fondées sur le genre et sur la nécessité de traiter aussi des violences conjugales.

L’Ouganda est intervenu au nom du continent africain, expliquant soutenir une convention complétée d’une recommandation, mais notant toutefois que sur la question des LGBTI, il y avait des différences culturelles importantes.

En l’absence d’accord continental, les pays d’Amérique sont intervenus en ordre dispersé. À noter, la position du Brésil et du Mexique, qui grâce aux mobilisations syndicales et féministes soutiennent désormais l’adoption d’une convention, en notant qu’elle pourrait devenir une des plus importantes de l’OIT. Sans surprise, les États-Unis n’ont pas soutenu l’adoption d’une convention, mais ils n’ont pas osé non plus la refuser explicitement. Côté asiatique, l’Inde a expliqué soutenir une convention, mais brève et ciblée, et la Chine a listé toutes les mesures prises au niveau national sans donner aucune position sur la future norme de l’OIT.

Conclusion de la journée : nous avons marqué des points déterminants, en gagnant le soutien de pays ou de continents qui n’étaient pas acquis (Europe et Afrique), et en empêchant nos opposants d’assumer explicitement leurs positions. Personne n’a donc osé rejeter explicitement l’adoption d’une convention contraignante. La bataille va désormais avoir lieu sur le contenu de la convention, et notamment sur les définitions, des violences, des employeurs (quelle responsabilité des donneurs d’ordre ?) et des travailleurs (la norme concerne t elle aussi l’économie informelle, les précaires, stagiaires, sous traitants…).

En direct de l’OIT. 29/05, 2ème jour, ça se tend…

Après les déclarations générales gagnées grâce à la pression des opinions publiques, les séances du mardi visaient à rentrer dans le vif du sujet, et à ouvrir le débat sur le contenu du projet de convention et de recommandation proposés. Le vote sur les amendements aura ensuite lieu à partir du mercredi.

Sentant que les positions en faveur d’une convention étaient fragiles, le patronat a tout fait pour essayer de revenir à une simple recommandation. Et pour cause ! La dernière convention adoptée par l’OIT date de 2011, et depuis le patronat multiplie les initiatives pour supprimer la valeur contraignante des décisions de l’OIT.

L’heure de vérité sur la convention sera le mercredi, lorsque l’on passera au vote sur les amendements de remplacement du mot convention par recommandation…sauf si le patronat réussi à reporter ce débat à la fin de la conférence, jouant ainsi le pourrissement….

Le débat est rentré dans le détail des rédactions proposées par l’OIT (globalement soutenues par les travailleurs). Les débats ont touché à des questions fondamentales, et notamment celle des définitions, pour avoir la convention la moins contraignante possible. L’argument : le chantage à la ratification. Une convention trop complète empêcherait à des pays de la ratifier et la mettre en œuvre. Argument aussitôt balayé par Mary Clarke au nom des travailleurs et travailleuses : avec ce raisonnement, il ne faudrait que des conventions OIT n’ajoutant rien aux droits nationaux. Dans ce cas, à quoi servirait l’OIT ??

Les remises en cause suivantes ont été portées par le patronat et certains gouvernements :

  • Critiques de la définition large des travailleurs et travailleuses à qui s’appliquent ce projet de convention qui inclue celles et ceux qui sont en contrats atypiques, des stagiaires ou apprenti.es, des personnes en recherche d’emploi, des travailleurs.euses de l’économie informelle
  • Critique de la définition des employeurs qui couvre aussi la responsabilité du donneur d’ordre
  • Critique du champ d’application, qui va au delà du lieu de travail et couvre le monde du travail, incluant les transports, les lieux de repas…
  • Critique de la mention dans la convention de l’impact des violences conjugales sur le travail, et donc de la nécessité pour le monde du travail de garantir le droit au travail des victimes et de les protéger.

La rédaction proposée par l’OIT sur le projet de recommandation a aussi été critiquée par les employeurs et certains États, comme trop détaillée et prescriptive. Ont notamment été dénoncés le renversement de la charge de la preuve et le caractère spécifique des violences fondées sur le genre (interventions de la Russie…).

Dernier tour de piste des réactionnaires ou points marqués en profondeur ? L’heure de vérité sera mercredi avec le dépôt des amendements sur la première partie de la recommandation et les premiers votes. D’ici là, Le groupe des travailleurs et travailleuses maintient une pression maximum sur les gouvernements.

Les votes comment ça marche ?

L’OIT est une institution tripartite. Chaque pays a 4 voix, 1 pour les syndicats, 1 pour les employeurs et 2 pour le gouvernement. C’est donc la position des gouvernements qui fait la bascule.

En direct de l’OIT : 30/05, 3ème jour, la bataille des amendements commence…

Après les déclarations générales, on rentre le mercredi 30 mai dans les amendements sur la 1ere partie du projet de convention (voir le projet de texte dans la dernière partie), préparé par le bureau de l’OIT. 102 amendements ont été déposés par le groupe employeurs, travailleurs, ou par un ou plusieurs gouvernements.

Le groupe travailleurs a débattu collectivement de ses amendements et décidé d’en déposer seulement 6, considérant que la proposition du bureau de l’OIT était une très bonne base de discussion. Pour les salarié.e.s français.es, nous avons proposé (conjointement avec les belges) deux amendements pour insister sur la nécessité d’avoir des instances de prévention sur chaque lieu de travail (nos CHSCT qui sont en train d’être supprimés par le gouvernement) et de garantir aux victimes le droit d’être accompagnées par des représentant.e.s du personnel (nous proposons en France la mise en place de référent.e.s élu.e.s). Ces amendements seront, nous l’espérons, retenus par le groupe et proposés dans la partie recommandation qui sera discutée en fin de semaine.

Les employeurs ont déposé beaucoup d’amendements. Pour transformer la convention en recommandation, pour limiter la définition des violences en excluant les violences psychologiques, pour supprimer la définition des employeurs (et ainsi exclure celle des donneurs d’ordre sur la sous traitance), limiter celle des travailleurs et travailleuses aux définitions des législations nationales (qui excluent souvent les stagiaires, les précaires, les candidat.e.s en recherche d’emploi…actuellement listé.e.s par le projet de convention), et pour limiter le champ de la convention aux violences se produisant sur le lieu de travail.

Aucun Gouvernement n’a déposé d’amendement pour transformer la convention en recommandation ce qui est le signe du rapport de force que nous avons construit. Les autres amendements des gouvernements représentent souvent des tentatives de compromis entre les demandes des employeurs et celles des travailleurs. Grâce à la pression mise par les syndicats sur chacun de leurs gouvernements, les pays européens ont déposé des amendements ensemble, proposant des compromis plutôt équilibrés. Sur la définition des violences et du harcèlement, les gouvernements européens proposent de reprendre les définitions de la convention d’Istanbul, ce qui permettrait de les étendre au niveau mondial et d’avoir ainsi une belle avancée.

Après une réunion du groupe des travailleuses et travailleurs du monde pour définir notre position sur chacun des amendements, la réunion de la commission plénière a commencé. Sur chaque amendement, la procédure est la même : l’organisation qui l’a déposé le défend, puis les groupes des employeurs et des travailleurs donnent leur avis, enfin, les gouvernements qui le souhaitent s’expriment. Si un compromis se dégage, l’amendement est adopté sans vote. Sinon on passe au vote à mains levées ou par appel nominal.

Le 1er amendement était présenté par les employeurs, pour transformer la convention en recommandation. Se sachant minoritaires, les employeurs ont proposé de repousser cet amendement à la fin de la discussion, pour pouvoir ainsi faire un chantage sur tout le reste de la discussion. Pour contrer cette stratégie, le groupe des travailleurs et travailleuses a concédé un compromis : repousser la discussion sur la forme de l’instrument (convention ou recommandation) seulement après la discussion sur les définitions, c’est à dire 24h plus tard, au lieu des 10 jours proposés par les employeurs. Ce compromis a été validé par les gouvernements, nous avons donc commencé par la discussion sur les définitions. Avec un début positif, puisque nous avons battu les employeurs sur leur définition très restrictive des violences. Celle de la convention d’Istanbul, proposée par les gouvernements européens, a été longuement discutée, notamment par les africains, qui la trouvent trop précise. La séance s’est achevée vers 22h et n’a malheureusement pas permis de trancher cette question, reportée à la séance suivante.

Bilan de la journée : les amendements proposés permettent d’escompter un texte de haut niveau, et le nombre de pays soutenant une convention a augmenté, avec la déclaration en séance de l’Irak, d’Israël et des Philippines notamment. La vigilance s’impose néanmoins pour la suite car les employeurs continuent à mettre la pression sur chacun des gouvernements pour essayer de changer des positions, et qu’ils vont tenter de jouer la montre, de faire durer la discussion sur les amendements pour retarder le débat sur la question de la convention…Gare à l’enlisement !

En direct de l’OIT : 31/05, 4ème jour, course contre la montre

Aujourd’hui, Ferney Voltaire, bourgade française à 10 km de Genève dans laquelle nous résidons, est bouclée. Et pour cause, notre Président de la République y est en visite. En profitera-t-il, comme le faisaient ses prédécesseurs, pour venir rappeler l’attachement de la France à des normes internationales de haut niveau pour harmoniser les droits des travailleur.ses ? Non, il a beaucoup mieux à faire, et sa journée sera consacrée à l’inauguration du château de Ferney. Le patrimoine est un signal beaucoup plus rassurant pour les investisseurs que les droits sociaux…

Nous continuons de notre côté notre travail de fourmis sur le projet de convention. Comme nous le craignions, les débats avancent lentement. La journée de jeudi a été centrée sur l’article 3A du projet de convention et sur la définition de la violence et du harcèlement. Un compromis a finalement été trouvé en plénière sur une définition proche du texte initial, suffisamment large pour inclure tous les types de violences, qui sera précisée nous l’espérons dans la recommandation, en reprenant les définitions de la convention d’Istanbul. Loin d’être un détail, cette question de définition est fondamentale, notamment pour les violences sexistes et sexuelles, très souvent déqualifiées (on se souvient en France par exemple du débat autour de la caractérisation de l’agression de Théo comme d’un viol), non définies dans de nombreux pays et encore moins poursuivies pénalement. La séance de nuit s’achève vers 22h30, nous ne sommes toujours qu’à la 1ère page du projet de norme, il nous reste 10 pages à examiner en une semaine…

A noter : c’est maintenant la France qui assure le leadership au niveau de l’UE, à la place de la Bulgarie. Excellente nouvelle, car indépendamment de toute considération quant à la qualité respective des représentant.e.s des 2 pays, on peut tout de même relever que la Bulgarie a fait savoir en mars dernier son refus de ratifier l’excellente convention d’Istanbul (sur la lutte contre les violences domestiques) qu’elle avait signée sous un précédent gouvernement, et a aussi répondu « NON » à la proposition de convention. Difficile, donc, d’attendre d’elle une attitude proactive sur le sujet !

En direct de l’OIT : 1/06, 5ème jour, le débat des définitions continue

Nos travaux reprennent sur le 3c), la définition des employeurs, toujours à la première page du projet de texte. Le projet adopte une définition large des employeurs, définis comme « toute personne qui engage des travailleurs directement ou indirectement ». L’intérêt pour nous : cela permet d’engager la responsabilité des donneurs d’ordre, élément qui bien sûr dérange le patronat au plus haut point. Les employeurs voulaient donc supprimer cette définition. Après expertise juridique du Bureau International du Travail, il apparait que les textes internationaux prévoient bien la responsabilité des donneurs d’ordre, et c’est à ces textes qu’il sera fait appel en cas de litige, et non pas à un cadre simplement national. Nous faisons donc un compromis en acceptant finalement de supprimer la définition d’employeur, pour mieux nous concentrer sur celle de travailleurs.ses.

La définition des travailleurs.ses, proposée dans le projet de texte, est intéressante car elle couvre quasiment toutes les situations et étend donc la responsabilité des employeurs. Sont concernées : « les personnes exerçant tout type d’emploi ou de profession, quelque soit leur statut contractuel ; les personnes en formation y compris les stagiaires et les apprentis ; les travailleurs licenciés ou ayant leur contrat de travail suspendu ; les personnes bénévoles ; les personnes à la recherche d’un emploi ou les candidats à un emploi ».

L’enjeu est déterminant, car au niveau mondial, 60% des travailleuses et travailleurs relèvent du secteur informel, et les personnes en contrats « atypiques » sont les plus vulnérables et les plus exposées à toutes formes de violences et harcèlement… Après 99 ans d’existence de l’OIT et contre la position patronale, une définition a été adoptée, en s’appuyant sur des dispositions déjà prévues par d’autres textes et grâce au soutien au groupe syndical d’une écrasante majorité de gouvernements. Cette définition est très proche de celle proposée initialement par le BIT, c’est-à-dire largement inclusive, concernant les milieux urbains et ruraux, et comprenant aussi bien tous les types d’emploi et de contrat, que les stagiaires et autres apprenti.e.s, ou encore, les personnes en entretien d’embauche...Une belle victoire ! Au prix d’une nouvelle séance de nuit, nous sommes arrivés à la fin de l’examen de la première page…

En direct de l’OIT : 2/06, 6ème jour, le principe d’une convention contraignante est validé !

Lors des conventions de l’OIT, on travaille aussi le samedi…Nous reprenons donc sur le point 4, très important lui aussi puisqu’il définit le périmètre de la convention. Parle-t-on des violences sur le « lieu de travail », ou des violences « dans le monde du travail » ? Le projet de convention parle des violences « dans le monde du travail » en précisant qu’il peut s’agir du lieu de travail (y compris les espaces privés lorsqu’ils servent de lieu de travail) ; des lieux où le travailleur prend ses pauses repas ; des trajets domicile travail ; des voyages professionnels ; et des communications liées au travail effectuées via les TIC ». Sans surprise les employeurs, et certains pays dont les États-Unis, veulent limiter cette définition aux lieux de travail. Leur amendement est rejeté. Nous réussissons, avec le soutien de l’Afrique, de l’Europe, du Canada et de certains pays d’Amérique du Sud emmenés par Cuba notamment, à maintenir cette définition ambitieuse et à y ajouter les logements lorsqu’ils sont pris en charge par l’employeur ! En d’autres termes : non, patrons et collègues ne peuvent profiter de ces moments en apparence informels mais qui demeurent fortement contraints par la relation de travail, pour se sentir libres d’y jouer les prédateurs ! Quant aux transports, cette disposition est de nature à contraindre les employeurs à assumer leur responsabilité en mettant en place des systèmes de navette ou en finançant des taxis chaque fois qu’ils jugent nécessaire de faire se déplacer des femmes à des horaires indus, surtout lorsqu’elles vivent dans des zones éloignées et dangereuses. Enfin, le fait de fournir des dortoirs aux ouvrières du textile ou de loger sur place des femmes employées dans les services à la personne ne doit pas faciliter l’accès non désiré à leur personne !

Dans l’après-midi, nous arrivons enfin à la question cruciale, que nous avions acceptée de reporter : adoptera-t-on une convention contraignante ou une recommandation indicative ? Sans surprise, le groupe des employeurs a procédé à une déclaration sur le sujet pour défendre son amendement visant à transformer la convention en recommandation. Il a fait valoir que depuis 2010, on n’avait enregistré que 52 ratifications, que seuls 12% des pays ratifient des normes, que les définitions-clés lui semblent très problématiques et très larges, notamment la notion de « monde du travail », que dans certains pays, notamment en Amérique latine, ce texte deviendrait la base de la législation… Bref, le patronat s’est prononcé en faveur d’une recommandation, ajoutant n’avoir pas de point de vue arrêté, et se donner jusqu’en 2019… Façon de faire pression sur le contenu en laissant miroiter l’espoir de son ralliement à une convention ? Parmi les pays qui ont explicitement exprimé leur soutien au principe d’une convention complétée d’une recommandation, Cuba a ouvert le bal. Puis le Canada,l’ Inde, la Nouvelle-Zélande, l’Argentine, l’Ouganda au nom des pays africains, La Colombie, le Chine, les Philippines, la France au nom de l’Union Européenne, le Qatar, le Pérou au nom d’un groupe « Amérique latine et Caraïbes » (aux contours flous). Les États-Unis s’en tiennent à une demande de recommandation. Quant au Japon, tout en soulignant que « les travailleurs ont fait preuve de flexibilité », il estime que la définition du champ d’application est trop vaste, se disant incapable de se prononcer tant que, à son sens, « on manquera de visibilité ». Tous les pays ne sont pas intervenus (par exemple, l’Australie et Israël, qui avaient dit oui au principe de convention accompagnée d’une recommandation), mais il n’était pas nécessaire de procéder à un décompte ni à un vote, eu égard à la large majorité qui se dégageait.

Ce sera donc une convention !!! Nous finissons la semaine sur cette victoire déterminante. Alors que les employeurs mènent depuis des années un travail de sape contre le caractère contraignant des normes OIT, et que la dernière convention a été adoptée il y a près de 10 ans, nous avons arraché un compromis pour gagner une nouvelle convention ! Cette victoire a été possible grâce à la campagne de longue date engagée par la Confédération Syndicale Internationale (à laquelle est affiliée la CGT) qui a permis d’engranger des soutiens déterminants. Ainsi, la position de la France, gagnée grâce à l’interpellation unitaire initiée par la CGT, a fait basculer l’Union Européenne en faveur d’une convention. Ce qui, ajouté à l’Afrique et à quelques pays très actifs comme le Canada et Cuba, permet de disposer d’un bloc progressiste de 80 et quelques pays. Comme quoi, quand la France joue son rôle dans le monde, elle a les moyens de faire pencher la balance en faveur des travailleurs et travailleuses….

Le repos de ce soir sera donc bien mérité. Dimanche, c’est relâche, sauf pour celles et ceux qui ont la chance de faire partie de la commission de rédaction, chargée de mettre en forme les amendements et finaliser le texte en 2 versions, français et anglais. Pour les travailleurs.ses, c’est un Néo-Zélandais et une espagnole qui nous y représenteront, accompagnés bien sûr de Mary Clark, notre porte-parole, et Chidi King, la secrétaire de notre groupe.

En direct de l’OIT : 4/06, 7ème jour, un cheval de Troie à Genève

La séance a repris ce lundi sur l’examen de l’article 7 du projet de convention contre les violences et le harcèlement, détaillant les obligations des États qui l’auront ratifiée. Le projet du Bureau International du Travail (BIT) prévoit « l’obligation pour les États de reconnaître le droit de toute personne à évoluer dans un monde du travail exempt de violence et de harcèlement et d’adopter une approche consistant notamment à : interdire en droit toutes les formes de violence et de harcèlement ; adopter une stratégie globale de prévention ; garantir l’accès à des moyens de recours et de réparation ainsi qu’un soutien pour les victimes ; … ». L’énumération de ces obligations, pourtant relativement générales, fut l’occasion d’un tir nourri de certains gouvernements et des employeurs.

Leur offensive vise à rendre impuissante cette future convention en introduisant à différents endroits du texte un principe de relativité de prise en compte du droit international en fonction du contexte national ou du cadre juridique existant dans chacun des États. Il s’agit d’une logique mortifère pour l’OIT, car elle attaque le fondement même de l’institution : la détermination d’un droit universel du travail, situé au-dessus des législations nationales, reposant sur de grands principes fondamentaux et s’appliquant partout et à tous de la même manière.

Un véritable cheval de Troie que les employeurs avaient déjà utilisé ici concernant le droit de grève : ainsi, depuis 2012, à chaque fois qu’une plainte concerne le droit de grève, le Comité de la Liberté Syndicale, chargé en principe de le faire respecter, renvoie dans ses conclusions au cadre légal national pour déterminer si la plainte était ou non fondée. En France, certains magistrats distillent aussi ce poison en mettant en avant un nouveau principe, le « taux de mutabilité du droit universel », qui exonèrerait le magistrat d’une application rigoureuse de l’article 55 de la constitution, celui qui fixe que les conventions et les traités internationaux qui engagent la France sont supérieurs aux lois de notre pays.

Ainsi, les amendements qui visent à penser la future convention « en fonction de la situation nationale de chaque pays », « compte tenu de la situation et des spécificités nationales », « dans le respect de la législation et de la situation nationale » portent-ils atteinte au sens même du droit social universel dont l’OIT est l’instigatrice et la garante. Les gouvernements qui se rendent complices de cette volonté des employeurs de « débrancher » l’OIT sont, parmi d’autres : Les États-Unis, l’Australie, Israël, le Japon, la Libye, l’Iran, l’Égypte, l’Algérie …

Notons que les pays de l’Union Européenne, par la voix de la France qui est leur porte-parole à la conférence internationale du travail tiennent bon, pour l’instant, et refusent de donner suite à cette relativisation du droit universel du travail. Devant l’absence de consensus, le règlement définitif de ce différend entre employeurs et travailleurs, divisant aussi les gouvernements entre eux, a été remis à l’année prochaine. Les travailleurs doivent empêcher cet affaiblissement programmé du droit, avant même que la convention ne soit adoptée. La CGT tiendra son rang sur cette ligne de front en 2019 !

En direct de l’OIT : 5/06, 8ème jour, recherche d’un compromis n’excluant aucun groupe discriminé

Une bonne partie de la nuit de mardi à mercredi a été consacrée à la discussion de l’article 10 du projet de convention.

Le texte initialement proposé par le bureau comportait une liste détaillée de groupes vulnérables, plus exposés que d’autres aux situations de violences et de harcèlement sur le lieu de travail. Cette liste citait explicitement ces groupes, dans l’optique de renforcer leur protection, ce qu’aucun texte international ne fait à l’heure actuelle. Très peu de pays atteignent d’ailleurs ce niveau de précision dans leurs législations nationales. Le texte originel comportait ainsi un devoir de légiférer pour protéger les groupes suivants des violences et du harcèlement dont ils peuvent être victimes, dans le monde du travail : « les jeunes travailleurs et les travailleurs âgés, les travailleuses enceintes ou allaitantes et les travailleurs ayant des responsabilités familiales ; les travailleurs en situation de handicap ; les travailleurs vivant avec le VIH ; les travailleurs migrants ; les travailleurs issus des peuples autochtones et tribaux ; les travailleurs qui sont membres d’une minorité ethnique ou religieuse ; les travailleurs soumis à un système de castes ; les travailleurs et travailleuses lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres ou intersexués ou qui ne se conforment pas à leur assignation de genre ». Cette rédaction était soutenue par le groupe des travailleurs et travailleuses, favorables à une approche inclusive intégrant toutes les discriminations.

Notons que la France et l’Union Européenne, très en faveur de cette liste détaillée, ont soutenu jusqu’au bout l’option du texte initial.

Comme on pouvait s’y attendre, cette longue liste a cependant essuyé deux formes de critiques, principalement de la part des gouvernements : d’abord, celles qui craignaient que les groupes vulnérables non cités se trouvent exclus de la couverture de la convention. Ensuite, celles des pays les moins ouverts à l’extension des droits pour ces groupes cibles, qui ne supportaient pas ce niveau de détail. La palme revient au représentant du gouvernement japonais qui, dans son intervention, a justifié son intention de supprimer la mention des LGBTI au motif que … « ce groupe n’existe presque pas » au pays du soleil levant !

Le Brésil, à la recherche d’un compromis, a d’abord proposé une liste réduite aux cas habituellement cités dans les législations anti-discriminations de l’UE ou de ses pays membres (genre, âge, handicap, religion, ethnie et « diversité »), mais dans laquelle ne figuraient ni l’orientation sexuelle, ni l’opinion politique.

Cuba, soutenu par l’Argentine et la République dominicaine, a alors proposé une dénomination large, inclusive et généraliste qui ne rentre plus dans le détail de ces groupes, se contentant de citer l’attention particulière que la convention doit accorder aux groupes vulnérables ou en situation de vulnérabilité.

C’est finalement cette option qui l’a emporté. Sans citer personne, elle permet dans le même temps de n’exclure aucun groupe. Dans un tel contexte d’imprécision, il reviendra aux organes de contrôle de l’application des normes de déterminer quels sont les groupes vulnérables dont parle la convention. L’année prochaine, il nous faudra gagner que la recommandation (qui accompagnera la convention), dont le but est précisément d’éclaircir les questions laissées trop vagues, comprenne une liste détaillée des groupes vulnérables.

En direct de l’OIT : 6/06, 9ème jour, coup de théâtre au Palais des Nations !

De mémoire d’habitué.e.s de l’OIT, il n’y a jamais eu de séance aussi tendue émotionnellement… Mercredi soir, peu avant minuit, les débats de la commission prennent fin pour cette année et laissent un terrible goût d’amertume. Le groupe patronal et certains gouvernements ont indéniablement joué un jeu mortifère en utilisant les LGBTI pour faire capoter les débats et pénaliser l’adoption, l’année prochaine, d’une norme ambitieuse, portée par le plus grand nombre en matière de lutte contre les violences et le harcèlement sur le lieu de travail.
Tout s’était pourtant déroulé jusque-là, sans anicroche majeure. L’Union Européenne par la voix de la France, déroulait une approche volontaire, progressiste et déterminée à aboutir sur le sujet. Fait suffisamment exceptionnel pour être souligné : le groupe des travailleurs et travailleuses se retrouvait en phase avec la plupart de ses interventions et pouvait s’appuyer sur elle pour gagner sur son propre niveau d’exigences.

Un exemple parmi d’autres : les articles 19 et 20, adoptés après un vif débat opposant d’un côté les employeurs et les USA, de l’autre les travailleurs et les pays d’Amérique Latine, ont abouti à une obligation de protection des travailleurs et travailleuses migrant.e.s, indépendamment de leur statut, ce qui signifie que même les sans-papiers se retrouvent couverts par les garanties apportées par la future convention. L’Union Européenne et les pays africains sont également intervenus en faveur d’une protection des migrant.e.s contre les violences quelque soit leur statut.

Mais à 21h10 : coup de théâtre au Palais des Nations. L’Union Européenne demande à réintégrer la liste longue des groupes vulnérables, dont les LGBTI, qui avaient disparu la veille de la rédaction telle qu’adoptée à l’article 10 (voir notre billet d’hier), dans un passage qui relève de la future recommandation. Si nous soutenions sur le fond cette démarche, sur la forme, elle intervenait à moins de trois heures de la fin des travaux et donnait alors le sentiment aux pays africains et du monde arabe que l’Europe tentait de revenir sur une question déjà traitée la veille, ce qui a été ressenti par ces pays, sans surprise, comme une volonté de passage en force. Le groupe des employeurs et certains pays opposés à l’adoption d’une convention contraignante en ont fait des tonnes, instrumentalisant les LGBTI en annonçant être les seuls à les défendre. Rappelons qu’au début du processus, les employeurs s’opposaient à un traitement spécifique des violences faites aux femmes ! L’odieuse manipulation a ainsi fonctionné : l’ensemble des pays africains ont quitté la salle en menaçant de se détourner définitivement de la perspective d’une adoption de cette future norme lors de la conférence du centenaire en 2019. Or, pour être adoptée, une norme doit être votée par une majorité qualifiée des deux-tiers. Avec la perte de 54 pays africains et potentiellement, de dizaines d’autres, les employeurs atteignaient leur objectif initial de torpiller la perspective même d’adoption d’une norme dont ils ne voulaient pas, comme le démontrent les questionnaires renvoyés avant le démarrage des travaux de la conférence.

La brillante intervention de Mary Clarke, porte-parole du groupe des travailleurs. et travailleuses a marqué la séance par sa hauteur de vue. Dénonçant le procès scandaleux fait au groupe des travailleurs qui défendait le compromis de la veille, elle a rappelé le combat des organisations syndicales contre toutes les discriminations, et notamment le sien, femme, noire, canadienne. Elle a ensuite interpellé les gouvernements occidentaux très en verves pour donner des leçons à la terre entière, rappelant au gouvernement canadien qu’il y a moins de 30 ans au Canada, les homosexuel.les étaient encore condamné.e.s à de la prison. L’homogénéité, la détermination et la solidarité du groupe travailleurs.ses, rassemblant plus de 100 nationalités mais refusant autant le relativisme culturel sur les droits humains que l’impérialisme des pays développés, sera déterminant pour renouer les fils brisés ce soir et faire revenir tous les pays à la table des négociations.

Seul point positif dans l’immédiat : nous sommes en droit de demander immédiatement l’ouverture de négociations pour que cessent les discriminations administratives dont souffrent les transgenres et les intersexués dans notre pays. En effet, compte tenu des déclarations de la France prononcées au nom de l’UE, nous exigeons, conformément aux résolutions 2048 et 2191 du Conseil de l’Europe, que le juge cesse d’être l’autorité statuant sur les procédures de changement de sexe des personnes transgenres et intersexuées qui ne se conforment pas à leur assignation de genre par l’État civil.
Demain, nous reviendrons sur la nature des conclusions qui seront soumises vendredi matin à l’adoption de la conférence.

En direct de l’OIT- Épilogue : un essai à transformer en juin 2019

La 107e convention de l’OIT s’est achevée vendredi 8 juin par une plénière rassemblant les délégué.e.s représentant les travailleurs.ses, employeurs et gouvernements de tous les pays du monde. Une déclaration de bilan de la 1ère phase de négociation du projet de convention sur les violences et le harcèlement est proposée et validée par consensus, après que travailleurs.ses, employeurs et gouvernements (avec des déclarations continentales) aient donné leur appréciation. La déclaration conclusive suivante a été adoptée pour définir le contenu de travail de la 2e année de négociation :

« La Convention Internationale du Travail décide d’inscrire à l’ordre du jour de sa prochaine session ordinaire la question intitulée « la violence et le harcèlement dans le monde du travail » pour une deuxième discussion en vue de l’adoption d’une convention complétée par une recommandation ».

Nous avons donc gagné le principe d’une convention complétée d’une recommandation, sur un champ d’application large puisqu’il s’agit de lutter contre les violences et le harcèlement dans le monde du travail, et pas seulement sur le lieu de travail. L’année 2018/2019 sera donc mise à profit par les experts du Bureau International du Travail, en s’appuyant sur les remontées nationales, pour approfondir les points qui n’ont pu être traités cette année, et faire des propositions de compromis pour dépasser les blocages soulevés lors de la négociation. Les passages en italique du texte issu des 2 semaines de négociation sont les points identifiés comme à approfondir et négocier.

La 108e conférence de l’OIT, qui aura lieu en juin 2019 et fêtera le centenaire de l’OIT, devra donc achever la négociation de la convention et de la recommandation, à partir d’une nouvelle proposition formulée par le Bureau International du Travail. Le texte ainsi proposé sera soumis à la discussion des délégué.e.s, puis au vote, et devra recueillir 66% des voix, sachant que chaque État dispose de 4 voix (1 pour les travailleurs.ses, 1 pour les employeurs, 2 pour le gouvernement). Si le principe d’une convention contraignante et de définitions larges sont bien identifiées, le chemin reste semé d’embûches et la vigilance s’impose pour la suite.

Et pour cause ! La séance conclusive, encore très mouvementée, a démontré que les employeurs étaient déterminés à torpiller la convention et ne reculeraient devant aucun moyen pour bloquer un compromis. Ils ont remis en cause les définitions négociées et validées lors des 15 jours de conférence et ont dénoncé le fait que les violences contre les employeurs (sous-entendu le droit de grève…) étaient niées dans le projet de texte (si,si ! ). Surtout, Lors de la séance plénière de vendredi, ils ont à nouveau instrumentalisé la question des LGBTI en exigeant une identification dans la convention de cette catégorie particulièrement vulnérable. Rappelons que le groupe employeur s’était opposé à l’identification particulière des violences fondées sur le genre dans la convention. Rappelons également qu’ils n’ont jamais montré le moindre intérêt dans la défense des LGBTI, et qu’il ne s’agit d’ailleurs pas de l’objet spécifique de la convention. Pourquoi une empathie aussi soudaine alors ? Parce qu’ils ont compris que l’identification en tant que telle des LGBTI dans le projet de convention était un chiffon rouge qui empêcherait son adoption par les 54 pays africains, les pays arabes et certains pays d’Amérique du Sud et du Pacifique. Autrement dit, que l’identification des LGBTI dans la convention empêcherait purement et simplement son adoption… « Plus c’est gros, plus ça passe » pourrait finalement être le slogan du patronat cette année…

C’est la raison pour laquelle le groupe des travailleurs.ses a soutenu un amendement de compromis, visant à remplacer la liste de l’article 10 énumérant (de façon non exhaustive) des groupes vulnérables par une phrase générale et inclusive : « Tout membre devrait adopter une législation et des politiques garantissant à tous les travailleurs le droit à l’égalité et à la non-discrimination, y compris aux femmes, ainsi qu’aux travailleurs appartenant à un ou plusieurs groupes vulnérables ou en situation de vulnérabilité qui sont touchés de manière disproportionnée par la violence et le harcèlement dans le monde du travail ». L’objectif étant d’intégrer la liste détaillée à la recommandation annexée à la convention.

En tout cas, cet engagement soudain du patronat et de certains gouvernements en faveur des LGBTI n’est pas tombé dans l’oreille de sourd.e.s…Les organisations syndicales, en lien avec les ONG intervenant sur la question, interpelleront leurs gouvernements et les employeurs pour qu’enfin soient supprimées les discriminations des LGBTI. En France, il y a du pain sur la planche. Contrairement aux résolutions 2048 et 2191 du Conseil de l’Europe, c’est toujours le juge qui statue, (souvent à partir d’une expertise médicale) sur les procédures de changement de sexe des personnes transgenres et intersexuées, et dans le monde du travail, aucun dispositif n’est mis en place pour lutter contre les discriminations permanentes dont sont victimes les LGBTI…Il s’agit là d’une discrimination d’État dont sont victimes les LGBTI.

En attendant, ne boudons pas notre plaisir. Grâce à la campagne contre les violences sexistes et sexuelles lancée il y a 5 ans par la Confédération Syndicale Internationale, nous sommes en train de négocier un projet de convention contraignante sur le sujet… Une première depuis près de 10 ans, et le texte d’étape validé cette année est déjà une bonne base de travail. Ce n’est qu’un début, continuons le combat comme on dit en France !

Source : site egalite-professionnelle.cgt.f

Lire le communiqué de la CGT