Le renouveau du syndicalisme enseignant aux États-Unis
Depuis 2012, les États-Unis sont le théâtre de nombreuses grèves dans l’Éducation. Cette vague de contestation bouleverse en profondeur le syndicalisme enseignant états-unien.
L’appartenance à un syndicat permet de négocier des accords pour les seuls syndiqué·es, droit d’autant plus important dans un pays où la couverture sociale de base peut être nulle. Or, un obstacle s’est développé ces dernières années : le bien mal-nommé « right-to-work » ou « droit au travail ». Cette législation donne la possibilité aux salarié·es de ne pas payer les cotisations ou les frais de négociation tout en bénéficiant de la représentation syndicale. Les syndicats pourraient donc se retrouver privés de leur principale ressource financière. Récemment la Cour Suprême a décidé d’instaurer cette doctrine du « droit au travail » dans tout le secteur public.
L’Éducation est victime d’attaques ultra-libérales : baisse des salaires (moins 8,9 % depuis 2000) ; augmentation des cotisations d’assurances-maladies et d’épargnes-retraites ; développement des écoles privées sous contrat ; généralisation des performances individuelles comme critères d’évaluations.
Dans ce contexte difficile, d’où peut bien provenir ce sursaut syndical ?
Tout d’abord d’une période de redéveloppement des mouvements sociaux. Déçus de la passivité des grandes centrales syndicales, les enseignant·es américains sont allés à la rencontre de leurs confrères et consœurs mexicains et canadiens. Là ils et elles y ont découvert de nouveaux modèles de syndicalisme, loin des schémas « professionnels ». Le syndicalisme états-unien s’était bureaucratisé, prônant une action plutôt centrée sur la défense individuelle des membres et il était réticent à s’opposer aux attaques perpétrées contre l’école publique.
Les militant·es ont donc décidé d’impulser un renouveau de l’intérieur. L’exemple le plus parlant est le Comité des Enseignants de Base (CORE) qui développe un syndicalisme de lutte aux antipodes du modèle corporatiste.
Ce nouveau syndicalisme a d’abord émergé dans les grandes mégalopoles, mais il s’implante dorénavant sur l’ensemble du territoire.
Trois éléments ont contribué à son succès
1) Une stratégie d’action basée sur la surprise et le spectaculaire
Les syndicats ont décidé d’orienter le combat vers les médias en développant des campagnes ciblées sur les réseaux sociaux.
2) Une méthode de communication centrée sur le vécu des salarié·es vulnérables
Les logos des organisations syndicales sont peu ou pas présents ; les prises de paroles ne sont plus le fait de responsables syndicaux ; et dans les discours et les écrits le traditionnel vocabulaire syndical s’efface peu à peu (capital, classe, exploitation, par exemple). Le succès des campagnes réside dans la mise en avant des collègues les plus précarisés au travers de « narrations ». Ce choix est ainsi argumenté : « C’est très facile de critiquer une idée. Mais il est beaucoup plus difficile de critiquer le vécu d’une personne en difficulté ».
3) Une politique d’alliance large, englobant la société civile et les nouveaux mouvements sociaux
Le syndicalisme états-unien construit des alliances avec la société civile. Les parents d’élèves sont les partenaires privilégiés des CORE. Les syndicalistes nouent des liens très solides avec les associations des quartiers, ouvrant ainsi leurs audiences à d’autres publics. De plus le soutien de personnalités publiques est sciemment recherché : pasteur·oresses, sportif·ves, politicien·nes, etc. C’est un mouvement plus vaste, appelé « Red for Ed » (le Rouge pour l’Éducation) qui se construit dans tout le pays.
Le renouveau syndical enseignant est une réalité aux États-Unis. Les incontestables réussites qu’ont connues les CORE doivent nous interroger en tant que syndicalistes français sur la manière d’adapter notre militantisme et notre façon de mener des luttes.