Développement de l’apprentissage... Ils veulent TUER le Lycée Pro !

 

Objectifs : 500 000 apprentis. La volonté est claire : les jeunes doivent s’orienter davantage vers l’apprentissage. C’est un objectif affiché des derniers gouvernements et, aujourd’hui, de la majorité des régions, en charge de la carte des formations professionnelles.
Ils ne le font pas, malgré d’incessantes campagnes de publicité vantant les mérites de cette filière de formation ? Qu’importe, on va les y contraindre, y compris en réduisant l’offre de formation dans les lycées pro pour y parvenir. Pour leur bien…

Mais pourquoi, au fait ? Il existe aujourd’hui deux voies majeures pour les jeunes qui s’orientent vers la voie professionnelle : le lycée professionnel, sous statut scolaire, qui prépare notamment les élèves aux diplômes du CAP, du BEP, du Bac Pro ou du BTS, et l’apprentissage, en centre de formation d’apprentis (organismes publics ou privés) qui préparent aux mêmes diplômes des candidats salariés, apprentis en alternance entre l’entreprise et le centre de formation.

Nous ne sommes pas contre l’apprentissage en tant que tel. Les formateurs font bien leur boulot en fonction de leurs contraintes spécifiques. L’apprentissage convient à certains profils d’élèves, notamment les plus âgés qui, après avoir acquis de solides compétences professionnelles, cherchent à s’émanciper du système scolaire et aspirent à s’engager dans la vie active. Mais nous devons affirmer que l’apprentissage ne peut devenir la voie de formation privilégiée.

C’est pourtant bien ce qui se dessine depuis plusieurs années. Un exemple en Occitanie : le CREFOP (Comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle) étudie et décide de la carte des formations. Pour la rentrée 2017, le constat est sans appel :

  • 20 ouvertures de sections sous statut scolaire
  • 128 ouvertures de sections en apprentissage dont 75 en Bac et infra-bac

30 % des demandes d’ouvertures sous statut scolaire, pour une bonne part dans les lycées privés, sont acceptées pour 60 % en apprentissage. Cela dénote une volonté politique de favoriser l’apprentissage. Par ailleurs, des formations scolaires ont été fermées les années précédentes pour rouvrir en apprentissage. Le lien avec les EPLE interroge aussi. Prenons l’exemple du lycée Jules Raimu à Nîmes qui ouvre à la rentrée 2017 4 sections en apprentissage. Cela sans que les personnels ne soient consultés au préalable, et sans même que le Conseil d’Administration ne soit informé puisque le lycée en lycée des métiers...

Se pose la question aussi des fermetures parfois un peu rapides. Par exemple la fermeture de la demi division de bac pro Gestion Administrative à Lavelanet ou du bac pro SPVL à Carcassonne : dès qu’il y a moins d’élèves on ferme ! Nous ne pouvons nous contenter de cette approche particulièrement réductrice. Une vision à long terme, sous forme d’une évaluation pluriannuelle, de trois ou quatre années, permettrait de réguler dans le temps et ainsi de conserver la cohérence de filières utiles sur le marché et pour les parcours professionnels des personnes.
Rappelons que plus d’un apprenti sur trois rompt son contrat au cours de la formation, que de nombreux jeunes ne peuvent s’inscrire en apprentissage, faute de contrat de travail. Que deviennent-ils alors ? Des jeunes sans affectation qui intègrent le marché de l’emploi avec une formation incomplète, ou sans aucune formation et qu’il faudra affecter en urgence et sans aucune motivation sous statut scolaire dans des établissements dont la capacité d’accueil aura été en amont contingentée ou réduite.

Les campagnes d’information à destination des troisièmes ou des terminales sont tellement déséquilibrées entre les deux voies de formation que de nombreux jeunes oublient la finalité de leur orientation. L’apprentissage devient le but, peu importe le métier, le diplôme, sa capacité à mener de front les périodes en entreprise et en centre d’apprentissage.

Alors quel est l’objectif à terme de la Région et du Ministère : fermer les lycées pros ?

C’est une absurdité. Même si cette voie de formation coûte plus cher que l’apprentissage, elle dispose de nombreux atouts et ses apports au système éducatif sont multiples. En Occitanie, la CGT a voté « contre » cette carte des formations.
Nous devons sauver les Lycées Pro !

Et pourtant...

Un rapport de l’IGEN (Inspection Générale de l’Education Nationale) est dithyrambique sur les enseignants des lycées professionnels. Confrontés à la difficulté scolaire, les enseignants du Lycée Pro ont dû proposer une pédagogie adaptée, permettant de répondre aux besoins des élèves.

L’IGEN constate que les enseignants de LP doivent souvent, dans un premier temps, réconcilier avec les apprentissages des élèves qui ont eu un parcours scolaire parfois douloureux et qui se retrouvent dans une filière de formation pas toujours choisie.

La mise en œuvre de pratiques pédagogiques innovantes et diversifiées par les équipes est gage de réussite pour la grande majorité d’un public d’élèves aux profils très divers.

Nous touchons là au cœur du problème. Le LP permet bien souvent aux élèves de retrouver fierté, confiance en soi, et, in fine, de réintégrer le chemin de la réussite.
Voulons-nous abandonner ce système ? Voulons-nous sacrifier ces élèves souvent en difficulté sur l’autel des choix budgétaires ?

Tenez-vous bien : l’IGEN considère que "les grandes qualités des pratiques pédagogiques observées méritent que l’enseignement professionnel soit reconnu pour la part d’expertise pédagogique dont il peut faire bénéficier l’ensemble du système éducatif". Ouf ! Les cabinets ministériels et les régions, sans doute bien conseillés par les représentants du Medef, ont-ils lu ce rapport ? Sont-ils prêts à saborder la richesse des lycées professionnels ?

En tout cas, à la CGT, nous ne laisserons pas faire !

La panacée ?

En 2015, 281 000 contrats d’apprentissage ont été signés dans les secteurs privé et public soit une hausse de 2,3 % après deux années de baisse. Tel est le constat de la DARES (Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques du Ministère du Travail).

Cette hausse s’explique essentiellement par la mise en place de l’aide "TPE jeunes apprentis" accordée aux petites entreprises recrutant un apprenti mineur. Les embauches y ont augmenté de 5 % alors qu’elles ont baissé de 2,3 % dans les entreprises de plus de 10 salariés. Comment ne pas y voir un effet d’aubaine pour se payer une main d’œuvre pas chère, bien souvent corvéable à merci ?

Nous sommes pourtant bien loin du chiffre espéré par le gouvernement, malgré les efforts déployés par les collectivités et le patronat. Pas étonnant : de nombreuses entreprises hésitent à embaucher des jeunes de 15 ans, sans formation préalable, qui se révèlent bien souvent davantage une charge qu’une pépite à façonner pour les entreprises. Pas étonnant non plus, dans ce cas que 38% des jeunes de moins de 18 ans abandonnent leur apprentissage en cours de route. C’est un gâchis sans nom.

Par ailleurs, les règles de sécurité au travail contenues dans le code du travail empêchent de fait au public le plus jeune d’accéder à ce type de formation dont une part est réalisée en entreprise.

Au sein des lycées pros, ces jeunes sont davantage entourés et suivent leur formation entre périodes scolaires et périodes en entreprise. Le temps, sans doute, de bien faire son choix de voie professionnelle, et d’être mieux armé pour affronter l’entrée dans la vie active…

Témoignage

Julien (prénom d’emprunt), enseigne en lycée professionnel dans l’académie de Caen. On retrouve dans son établissement un public en formation initiale, mais également des apprentis. Il a accepté pour nous de témoigner de son expérience…

J’enseigne l’Histoire – Géographie et le Français en CAP depuis plusieurs années en formation initiale dans un lycée des métiers du bâtiment et de la topographie.
Nous accueillons des élèves sortant de SEGPA, de Troisième Prépa PRO, mais également des élèves allophones réfugiés. Bref un cocktail parfois explosif mais également enrichissant ! Les trois-quarts de ces élèves obtiennent leur CAP et s’intègrent dans la vie active à leur niveau ! Pourquoi ? Parce que c’était leur place, ils avaient besoin de temps pour apprendre, se développer et besoin de notre expérience pour les guider ! Alors l’apprentissage dans tout ça ? Assurément pas pour eux : aucun artisan, aucune entreprise n’aurait la patience et le temps que nous leur consacrons. Il y a 10 ans un CAP en Apprentissage à été ouvert en parallèle dans le même établissement. Résultat : l’apprentissage public a disparu faute de candidats ! En revanche nous sommes toujours là (nous nous étions battus à l’époque pour sauvegarder un CAP en formation initiale) et assumons notre mission de service public pour environ 17 élèves par an.
L’apprentissage n’est pas l’alpha et l’oméga de la réussite de la formation professionnelle. Cessons de le mettre en avant systématiquement ! Parallèlement, j’interviens dans un BTS géomètre topographe relevé en termes de niveau des candidats (issus de Bac S, Bac Techno et Bac pro sur dossier). Et dans ce cas-là, l’apprentissage en deuxième année n’est pas un problème…