Laïcité Société

 Syndicalisme et laïcité : intervention de la FERC à la conférence débat de la Libre Pensée

 

Intervention d’Alain Barbier au nom de la FERC CGT à la conférence débat de la Libre Pensée le 23 février à la Bourse du Travail
Thème : Syndicalisme et laïcité

  • Y-a-t-il un rapport entre ces deux conceptions (Laïcité et Charte d’Amiens) ? Si oui, lequel ?
  • Le combat de défense de la laïcité a toujours été porté par le syndicalisme qui se réclame de la Charte d’Amiens. Pourquoi ?
  • Ce combat est-il toujours d’actualité et doit-il être réaffirmé ?
  • Y-a-t-il une rencontre possible et nécessaire entre la Libre Pensée et le Mouvement ouvrier syndical organisé ?

Aux 4 questions posées par la Libre Pensée, l’histoire de la laïcité et du mouvement ouvrier apporte toutes les réponses

La loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 est l’une des grandes conquêtes du mouvement ouvrier dans la continuité de l’œuvre émancipatrice issue de la grande Révolution française. Ce n’est pas un hasard si un an plus tard, presque simultanément, en 1906, le prolétariat intègre le principe de la loi de 1905 dans son organisation, la CGT, avec la fameuse Charte d’Amiens.
Laïcité et lutte de classes, laïcité et combat pour l’émancipation des travailleuses-eurs sont étroitement liés, voir consubstantiels.

Rappel historique

Au printemps 1871, la Commune de Paris proclame la séparation le l’Église et de l’État. La Commune sera écrasée dans le sang par la bourgeoisie versaillaise via le sabre et le fusil, injuriée via le goupillon : l’Église, quant à elle, fait édifier sur la Butte Montmartre, là où tout a commencé, le 18 mars 1871 avec l’affaire des canons, cette hideuse pièce montée, dite le « sacré cœur », en expiation des crimes des insurgés. Une véritable insulte et provocation à l’héroïque prolétariat parisien.

A partir des années 1880, la classe ouvrière relève la tête, se reconstruit ; retour des déportée-és ou exilée-és (Louise Michel), luttes et grèves souvent durement réprimées, combat pour la laïcité et contre « l’infâme » (L’Assiette au Beurre, revue libertaire illustrée, les dessins de Steinlen…).

21 mars 1884. La loi reconnait officiellement les syndicats et leurs unions avec toutefois une arrière pensée : faire adhérer ainsi la classe ouvrière aux idéaux de la république bourgeoise (Jules Ferry, l’école et les symboles unificateurs : drapeau tricolore, hymne national) et consacrer ainsi les fiançailles entre les ouvriers et la nation ; bannir les syndicats du champ politique, contenir le pouvoir syndical. Les luttes sociales s’intensifient néanmoins et se durcissent.

La répression est souvent féroce. Emblématique, la fusillade de Fourmies le 1er mai 1891 contre les ouvriers en lutte pour la journée de 8 heures : 9 morts, 35 blessés. Édouard Drumont, dans son journal La Libre Parole, exploite l’événement à des fins antisémites tandis que l’Église catholique, à la recherche d’un socialisme chrétien et bientôt d’un syndicalisme chrétien, tente de récupérer en sa faveur l’émotion crée par cette fusillade.

Septembre 1895, à Limoges : naissance de la CGT. Il s’agit d’un véritable tournant dans l’histoire du mouvement ouvrier et sa capacité à s’organiser face à la bourgeoisie (sabre et goupillon).

1894 : début de l’affaire Dreyfus. Campagne antisémite et anti-ouvrière exacerbée et violente de l’Église et sa presse, notamment le quotidien La Croix. Jean Jaurès rallie la classe ouvrière à la défense de Dreyfus contre l’armée et l’Église (voir pour le contexte historique le film Le Juge et l’Assassin de Bertrand Tavernier).

À partir de 1901, une nouvelle loi sur les associations sert à combattre les congrégations religieuses, en particulier celles qui se consacraient à l’enseignement.
Poursuite du combat pour une éducation laïque et émancipatrice.
Points d’orgue : 1904, 1905, 1906.

Dès 1904, certains radicaux, comme Combes ou Clémenceau prônent l’interdiction dans l’espace public de la soutane ou du voile des religieuses, au prétexte que le port de la soutane dévirilise les hommes et que tous ces signes ostentatoires témoignent d’une allégeance à l’ultramontanisme et à un État étranger : le Vatican. Des débats qui ressurgissent d’une façon récurrente, notamment en 2016 autour du voile ou du burkini. Aristide Briand et Jean Jaurès ont su donner en 1905 le véritable contenu de liberté à la loi de séparation des Églises et de l’État :
Article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes... ».
Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte... ».

Les tentatives de diviser la classe ouvrière pour atténuer la lutte de classes sont de plusieurs ordres

Xénophobie : campagnes violentes verbales et physiques contre l’immigration italienne à la fin du XIXe et au début XXe siècle dans le sud, notamment à Marseille.

Discrimination religieuse : en Algérie, il s’agit de diviser le peuple algérien, via la religion. Le décret Crémieux du 24 octobre 1870 donne la citoyenneté française aux 37 000 juifs d’Algérie. Les Algériens sont définis comme « musulmans ».
Il est par ailleurs faux de dire, comme on l’entend partout, que la loi de 1905 est inadaptée à l’islam. Elle aurait due être appliquée en Algérie. Mais le gouvernement, comme les autorités coloniales, s’y est opposé pour les populations dites indigènes. Il n’est pas inutile de rappeler que le décret Crémieux fut abrogé sous Vichy : les juifs d’Algérie sont alors déchus de la nationalité française.

Dans l’entre deux guerres, les 2 CGT (CGT et CGTU) demeurent fidèles à la Charte d’Amiens. Les années 1930 voient le grignotage de la loi de 1905. L’antisémitisme, toujours teinté d’anti-judaïsme traditionnel (dénonciation de l’esprit talmudique, etc.) fait rage tout comme les campagnes xénophobes contre l’immigration polonaise (expulsion de familles entières des corons du nord), l’immigration juive d’Europe de l’Est, contre les tziganes, les Italiens toujours, etc., avec une violence inouïe de la presse et de certains partis politiques. La riposte ouvrière s’incarne dans la MOI (Main d’œuvre Immigrée) qui s’illustrera notamment dans la Résistance (Affiche Rouge).

Le final tragique, on le connait : les lois anti-juives de Vichy, les déportations des Juifs vers les camps de la mort, l’internement dans des camps en France et parfois la déportation des Tziganes. Montreuil-Bellay (Maine et Loire) est un des principaux camps d’internement des Tziganes et des plus meurtriers.
Vichy, c’est aussi l’interdiction des syndicats et des grèves notamment avec la Charte du Travail du sinistre Belin.

L’Église n’aura de cesse, à cette occasion, de reconquérir le terrain perdu, principalement dans son domaine privilégié, l’éducation. En 1940, le régime de Vichy rend aux religieux le droit d’enseigner. En 1942, toutes les congrégations sont à nouveau autorisées. Ces lois restent en vigueur à l’avènement de la IVe République. En 1951, la loi Barangé, en accordant directement aux écoles privées une allocation trimestrielle pour chaque élève scolarisé, permet de subventionner à nouveau l’école catholique. En 1959, la loi Debré organise la prise en charge financière par l’État de ces écoles, à travers la mise en place des contrats dits « d’association ». Il faudrait aujourd’hui ajouter à ces mesures générales les moyens supplémentaires offerts par les collectivités territoriales, communes, départements, régions, pour subventionner à longueur d’années cet enseignement privé. L’opposition des organisations syndicales FO et CGT à cette évolution sous la IVe et Ve République est constante et résolue.

N’oublions pas non plus les batailles pour le planning familial, le droit à la contraception et à l’avortement dans les années 60 et 70. Opposition féroce des Églises.

La grande nouveauté aujourd’hui

Ce n’est plus la l’immigration maghrébine en tant que telle qui est visée mais celles et ceux qui sont censés pratiquer l’islam. Une religion qui est stigmatisée au nom d’une laïcité détournée, défigurée. Rappel du rôle néfaste de Riposte Laïque dont tous les thèmes ont été repris par l’extrême droite, et même la droite sans oublier Valls, etc. La loi de 1905 est une loi de liberté que l’on transforme en loi antireligieuse (dirigée essentiellement contre l’islam). La loi de 1905 ne sépare pas l’Homme de la religion mais l’État de la religion. Ce détournement de la laïcité a pour objectif de dresser les travailleur.seuses les un.es contre les autres, de créer un climat de peur dans un contexte d’état d’urgence permanent.

La FERC CGT s’est toujours élevée contre ce détournement du concept de laïcité ainsi que la Libre Pensée, de même qu’elle dénonce toujours la loi Debré, le retour du religieux, catholique notamment, mais curieusement ceux qui poussent des cris d’orfraie devant un fichu, s’accommodent des crèches de Noël dans les lieus publics et autres calvaires ostentatoires.
Ce détournement de la laïcité ne vise pas seulement une religion mais aussi à museler l’expression libre des salarié.es dans les entreprises (voir dans la loi « travail » l’article qui permet aux entreprises de prévoir dans leurs règlements intérieurs un chapitre réglementant la neutralité religieuse, syndicale et politique).
Ce n’est pas fortuit : si l’émancipation de la classe ouvrière passe par la transformation sociale, elle suppose aussi au préalable la liberté de conscience, la liberté de penser, voire de penser autrement, comme le disait si bien Rosa Luxemburg.

En conclusion, je terminerai par une citation de Léon Gambetta, lequel n’est pourtant pas ma figure politique préférée, mais parfois ne manquait pas de pertinence et d’humour. Dix-sept ans avant 1905, Léon Gambetta anticipait déjà sur l’esprit de la future loi de séparation de 1905, dans un discours à Romans en 1878 : « Non, nous ne sommes pas les ennemis de la religion, d’aucune religion. Nous sommes, au contraire, les serviteurs de la liberté de conscience, respectueux de toutes les opinions religieuses et philosophiques. Je ne reconnais à personne le droit de choisir, au nom de l’État, entre un culte et un autre culte, entre deux formules sur l’origine des mondes ou la fin des êtres. Je ne reconnais à personne le droit de me faire ma philosophie ou mon idolâtrie : l’une ou l’autre ne relève que de ma raison ou de ma conscience ; j’ai le droit de me servir de ma raison et d’en faire un flambeau pour me guider après des siècles d’ignorance ou de me laisser bercer par les mythes des religions enfantines. »