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 Pédagogies féministes pour changer le monde

 

Chaque mois, la Fédération de l’Éducation, la Recherche et la Culture CGT s’associe à une journée internationale pour alerter sur les conditions de travail et de rémunération des femmes, mais aussi sur les questions d’éducation, de recherche et de culture qui construisent les changements de société nécessaires à une véritable et réelle égalité entre les femmes et les hommes au travail.

Le 24 janvier est la journée mondiale de l’éducation. L’occasion rêvée de s’enthousiasmer pour les pédagogies féministes !

La transformation sociale pour laquelle milite toute la CGT oblige à combattre les idéologies capitalistes, libérales et néolibérales qui sont structurées par le patriarcat. Ces dogmes sont inculqués aux enfants dès leur plus jeune âge. En effet, les savoirs ne sont pas neutres, mais, idéologiquement orientés, ils entérinent une manière de penser le monde et assurent la reproduction des constructions sociales de classes, on le sait, mais aussi de genre et de race (au sens des sciences sociales). Ainsi, pour les sociologues, la « race » est une construction sociale, mais c’est une construction qui a des effets sociaux, en particulier en termes d’inégalités sociales et de discriminations. C’est d’ailleurs pour cela que la notion de « racisme anti-blanc » n’a pas de sens pour les sociologues : le racisme ne consiste pas uniquement en des remarques racistes, mais il constitue un système social inégalitaire qui structure encore actuellement les sociétés.

Les conséquences de cette éducation sont terribles pour les syndicalistes que nous sommes. Dans l’Éducation nationale, par exemple, elles induisent que les filles, puis les femmes et les hommes, ont intériorisé et invisibilisé le fait que les fonctionnaires femmes gagnaient encore en 2018 en moyenne 316 euros de moins que les hommes par mois (20%) !

Le système éducatif : un système de dominations

L’organisation elle-même du système scolaire, de plus en plus hiérarchisé, conditionné par une vision sécuritaire genrée - aux hommes la force, la direction et la protection, aux femmes le soin et le lien - vise à assoir chez les personnels des habitudes de soumission, une forme d’acceptation. Enfin, le statut de l’élève est conditionné à la fois par son entourage - « sois bien sage » pour les filles, « confronte-toi » pour les garçons - et par la disposition traditionnelle de la classe qui le ou la place en réceptacle de savoir, mais aussi par tout un soubassement idéologique qui vise la docilité.

Pour autant, l’école peut véhiculer un discours féministe que nous pourrions qualifier de discours féministe conservateur et de façade. On maintient les systèmes actuels de domination en place mais on prétend agir sur les symptômes : on « repeint la science en rose », c’est Barbie scientifique. On conserve les stéréotypes, la douceur aux filles, la force aux garçons, mais on montre aux filles qu’elles pourraient continuer d’être douces dans les disciplines techniques et aux garçons qu’ils ne seront pas féminisés s’ils deviennent infirmiers.

Ces valeurs réactionnaires, qui sont à la source de beaucoup de rancœurs et de colères à l’égard de l’école, portent en elles les germes des idéologies d’extrême-droite et d’inégalités. Elles sont de retour d’autant plus fortement que l’insécurité économique et sociale se fait sentir. Bref, dans ces temps prolongés de crise, l’école traditionnelle apparaîtrait comme la valeur sûre qui rassure.

Des inégalités criantes

L’école produit et reproduit des inégalités entre les filles et les garçons, au détriment des filles. Nombreux sont les symptômes de ces discriminations. Les études qui analysent les modes et les temps de paroles des filles et des garçons dans la classe montrent toutes que les garçons occupent le terrain de l’expression. Les exigences ou les évaluations diffèrent entre filles et garçons : on valorise l’assiduité au travail, la peine, le courage chez les filles quand on félicite les réussites des garçons. A la réception d’une mauvaise note, les filles intériorisent l’échec, se « sentent nulles », sont profondément déstabilisées, quand les garçons l’externalisent souvent et rejettent la faute sur l’entourage ou un manque de travail. À la récréation, les garçons occupent l’espace, avec des jeux de ballons extensifs, qui maintiennent les filles en périphérie. La liste est longue de toutes ces situations qui relèguent les filles en seconde zone. Les enfants n’étant pas par nature inégaux, il faut bien que tout un système contribue à construire et à installer durablement de tels comportements.

À l’image de la société, le système scolaire est patriarcal

En fait, maillon social incontournable, l’école constitue bien un étayage des valeurs patriarcales. Les enseignant·es, les personnels sociaux, administratifs, éducatifs et médicaux, les AESH, les directions, toustes les membres de la communauté éducative ont intériorisé des stéréotypes, des valeurs, des comportements nourris par une culture patriarcale et sont influencé·es en permanence par cela.

Comment faire pour se déconstruire et aider les élèves à se construire avec d’autres valeurs ?

Il semble qu’il nous faut adopter en permanence envers nous-mêmes et avec les élèves et étudiant·es, une posture de vigilance et de questionnement de nos comportements, de nos connaissances et de la diffusion des savoirs.

La CGT pour l’émancipation des enfants, des jeunes et des adultes

Les enseignant·es, éducatrices et éducateurs syndicalistes de la CGT sont pour des pédagogies de progrès. Au lieu de se recroqueviller dans des pédagogies liberticides, elles et ils pensent que l’émancipation, des êtres humains, enfants et adultes, élèves et professionnel·les, doit être au centre de leurs préoccupations, et que toute posture de pouvoir doit être interrogée.

Les pédagogies critiques, qu’Irène Pereira a contribué à diffuser en France avec son ouvrage Paulo Freire, pédagogue des opprimé·e·s. Une introduction aux pédagogies critiques, (Libertalia, 2018), constituent une ressource vitale pour transformer la société. Elles permettent collectivement aux enfants comme aux adultes de partir de leurs expériences, de partager des savoirs, d’interroger les enjeux de pouvoirs, de conscientiser les mécanismes qui mènent aux injustices, et, pragmatiques, d’élaborer des stratégies concrètes pour changer les choses. On le voit, loin d’être des recettes applicables, des solutions toutes faites, elles constituent une praxis, elles analysent le monde pour le transformer directement.

Les pédagogies féministes telles que la CGT les propose dans les stages FERC qu’elle organise, se nourrissent des pédagogies critiques et créent des savoirs et des modes d’action collectifs pour mettre fin aux modes de dominations du système patriarcal. Elles se nourrissent aussi des pédagogies coopératives. Il y a un lien étroit entre les valeurs de ces types de pédagogies, notamment une volonté évidente de la plus grande horizontalité possible et de construction à la fois individuelle et collective de son émancipation.

Le partage des savoirs ne nie pas l’expertise, la valeur scientifique - ce n’est surtout pas un relativisme -, mais la conçoit comme un apport qui arrive à point nommé pour contribuer à l’analyse ou à l’élaboration de modes d’action pour conscientiser une situation et la transformer. Concrètement, ces pédagogies s’appuient sur des dispositifs qui permettent l’expression de l’expérience individuelle ou collective, notamment de situations de dominations ou d’enjeux de pouvoirs que l’on s’attache ensuite à dénouer pour élaborer la lutte contre ces dominations.

Pour cela, on choisit des supports qui mettent en lumière les privilèges, dans les exercices de mathématiques par exemple, les données peuvent s’appuyer sur les inégalités statistiques genrées. On constitue des corpus d’autrices en Français car le rattrapage est énorme (elles ne constituent même pas un quart du programme imposé pour le baccalauréat) ; on insiste sur le rôle des femmes dans l’histoire, dans la recherche, en sciences, et dans tous les champs du savoir. On fait référence à des expertes.

On met en place en classe des moments de conscientisation à partir de l’expérience ou de l’analyse individuelle, par des récits personnels ; on discute pour savoir comment on pourrait s’organiser différemment, pour l’occupation de la cour, par exemple, mais aussi pour la régulation de la parole dans le groupe, pour l’organisation de la classe, avec le souci de l’expression et de l’émancipation des filles. L’analyse des privilèges des hommes permet aux garçons dans la classe de prendre conscience de ce à quoi ils devront renoncer s’ils tiennent à leur conception de la justice, car les pédagogies féministes ont cela d’efficace qu’elles ne peuvent se contenter de discours de façade et qu’il faudra passer aux actes pour continuer à penser et agir de manière juste, ce qui est leur objectif.

Il y a encore beaucoup de leviers pour déconstruire le système patriarcal et faire en sorte que chaque être humain se construise et s’émancipe à et grâce à l’école. Il ne s’agissait pas de donner des préconisations mais de témoigner de dispositifs déjà mobilisés qui fonctionnent. L’intérêt de ces pédagogies est qu’on prend le temps de les remettre en question en fonction du contexte et des éléments dont le groupe prend conscience. De nouveaux enjeux de pouvoirs peuvent voir le jour, la pédagogie critique est vigilante pour entendre les dominé·es et faire valoir leur parole, faire évoluer la coopération vers plus de justesse. Les actrices et acteurs des pédagogies critiques élaborent leurs propres outils de régulation.

Enfin, on le voit, pratiquer ces pédagogies dans le contexte actuel impose de regarder avec un esprit critique toujours revivifié les injonctions pédagogiques et didactiques qui nous sont assénées.

En interne à la CGT, si nous voulons que nos formations évoluent vers plus de justice, si nous voulons penser juste et ne pas véhiculer les stéréotypes sexistes dont nous sommes les premières victimes, nous nous devons, ainsi, de réfléchir à des processus de déconstruction et d’élaboration des valeurs syndicales toujours plus justes. A cet effet, certains syndicats ont inscrit dans leurs statuts des modes de fonctionnement plus égalitaires comme la limitation claire du temps de parole, la procédure dite de la « fermeture éclair » : on fait remonter dans la listes des inscrit·es les femmes pour intercaler hommes et femmes… Nous proposons une réflexion sur la participation automatique de la part des camarades membres des directions syndicales aux formations syndicales liées à l’égalité, aux luttes contre les violences sexistes et sexuelles. L’écriture inclusive, qui témoigne concrètement de la place des femmes dans leur langue en est aussi un exemple.

C’est bien un travail de conscientisation et de réflexion action qu’il faut mettre en place, puisque nous voulons une CGT féministe et égalitaire.