Travail et santé Guide

 Les cahiers de l’OFCT - n°1 : Mener la bataille du temps !

 

Vite, vite, vite…. Au quotidien, nous effectuons de plus en plus de tâches diverses et variées dans un temps donné. Nous mettons beaucoup d’énergie à essayer de définir des priorités, à gérer des urgences. Nous n’avons pas le temps de penser. Nous sommes sans cesse tiraillés entre l’obligation d’aller vite et la nécessité de faire bien. Il est souvent impossible de tout faire, nous sommes donc obligés d’arbitrer entre plusieurs impératifs, plusieurs injonctions et de renoncer à certaines choses, de reporter à plus tard certaines tâches.
Il est devenu quasi impossible de coopérer avec les collègues et nous sommes condamnés à coordonner le travail à la va-vite, entre deux portes, entre deux mails…. Le flux tendu, le just-to-time (juste à temps) sont généralisés à l‘ensemble de la production des biens mais aussi des services. Les contraintes de travail se sont accrues et c’est ce que pointe la dernière étude de la DARES sur les conditions de travail.

Avec les nouvelles technologies d’information et de la communication, le travail n’est jamais fini. Ces technologies abolissent la distance entre le dire et le faire rendant ainsi les prescriptions de plus en plus tyranniques. Le fonctionnement en haut-débit de la machine est le modèle sur lequel l’humain doit s’aligner.

Nous sommes ainsi condamnés à l’immédiateté de la tâche, à la réponse instantanée. Le réflexe est substitué à la réflexion et l’automatisme à la pensée. Les temps dits morts sont supprimés. Or ce sont ceux là justement qui permettent de pouvoir respirer, de pouvoir penser, chercher, se souvenir, analyser, anticiper, transmettre des informations, d’échanger sur le travail avec les collègues.

Les nouvelles technologies de la communication abolissent la frontière de la vie professionnelle et de la vie privée au détriment de cette dernière. Elles amènent un bouleversement total de l’espace temps du travail salarié. Le temps du travail est étendu à l’ensemble de la vie des travailleurs qui se doivent d’être disponibles sans interruption et partout.

L’intensification du travail n’est pas un phénomène nouveau, même si elle connaît une sérieuse aggravation depuis quelques années. L’extension de l’emprise du travail sur l’ensemble de la vie des salariés est aussi une caractéristique très inquiétante des nouvelles organisations du travail.

Les organisations du travail sont comptables et responsables. .,. Leur but est que chacun soit livré à la course, à la vitesse, donc à la dépossession. Que chacun se révèle être un bon agent du marché, productif, rapide, capable de s’adapter en instantané, flexible, en comprimant tous les espaces temps, sous peine d’être disqualifié. Elles font en sorte que chacun soit jugé sur les contraintes de son travail et non sur son savoir faire, contraintes qui nourrissent les objectifs, les indicateurs de tous types à fonctions marchandes et managériales.

Surtout, il faut que chacun soit seul pour gérer cette pression, ce qui l’accroit. La compression de l’espace/temps a pour fonction de mieux dissoudre les collectifs de travail, donc les solidarités, d’effacer les repères face aux normes employeurs imposées contre le droit. Les conditions sont donc créées pour éviter toute possibilité de création d’exigences sociales. Pour le néolibéralisme, au-delà de la question de la productivité, tout l’enjeu est là.

Le syndicalisme n’échappe pas à cette tentative d’écrasement. Les employeurs ont la main sur l’agenda dit social et ont démultiplié les groupes de travail, les sous-groupes, les pseudos instances, les cellules… Nous courons de réunions en réunions. Ces organisations du travail nous condamnent à la gestion des urgences qui n’en finissent pas et nous épuisent, nous laissent seuls à nous débattre. Elles ne permettent pas les échanges, les préparations, le travail collectif et les débats sociaux, la définition d’objectifs, de stratégie… tout ce qui fait la vie collective du syndicat... Là aussi nous ne pouvons penser, anticiper. Et les salariés ne comprennent pas. Pour eux, rien ne change bien au contraire quand nous nous agitons en permanence dans la sphère de l’employeur. Elles condamnent aussi les militants à considérer qu’en absence de temps syndical dédié, il n’est plus possible d’agir.

Au final, la parole sur le travail n’existe pas alors qu’elle est le cœur de toutes les problématiques. Or, le lieu de travail, comme le lieu « syndical » sont d’abord des lieux de socialisation, de discussions, de transformations des situations.

C’est de cela dont le capital veut se débarrasser et pour se faire, il s’attaque au cœur de résistance des travailleurs, celui des métiers. Il redéfinit les postes, les services, les tâches, les statuts dans le travail, y compris les établissements. Demain, nous pourrions tous être des immigrés de nos propres travails, des sans papier de nos propres métiers avec toujours plus de mobilité, de solitude, moins de qualification, de salaires, de droits individuels et collectifs.

Pour autant, le système n’a pas gagné. Il est même en difficulté. Malgré ses « stratégies de l’urgence », les travailleurs ne se soumettent pas. Ils résistent à partir de leur métier, ils veulent continuer à leur donner du sens, de l’éthique.

S’il y a donc une bataille fondamentale à engager aujourd’hui pour le syndicalisme, c’est celle de la reconquête du temps. Du temps pour créer les conditions, les espaces/temps pour que se reconstruise la parole sur les travails, dans l’établissement, dans le syndicat ou la section. C’est se donner du temps pour reconstruire du débat social à partir des savoir faire, du sens des métiers, de leurs conceptions.

Parce que ce ne sont pas les moyens qu’on a qui font vivre le syndicalisme mais ce que l’on se donne comme objectifs, ce que l’on définit ensemble. Ce sont les perspectives collectives que nous pouvons dessiner, à partir de la parole des personnels sur leur travail, ses conditions d’exercice, ses finalités.
Cette bataille du temps n’est-elle pas aujourd’hui, le premier socle pour sauver nos emplois, nos métiers, nos lieux de travail, nos droits et garanties collectives ?