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 Bulletin IHS n°15

 

Édito - Quoi qu’il en coûte…

Du « quoi qu’il en coûte », phrase clé du président Macron, à « la fin de l’abondance », il semblerait y avoir un gouffre ! Mais ces mots de circonstance cachent une réalité : une politique dont la finalité est de gérer les crises au mieux des intérêts du capital.
Ainsi, du choc pétrolier des années 70 à la politique de rigueur des années 80 avec la fin de l’indexation des salaires sur les prix en 82, chaque crise marque une étape nouvelle dans la remise en cause des droits acquis par les luttes sociales pour privilégier dans la hiérarchie mondiale entre dividende et salaires, le camp des dividendes.

C’est avec ce regard et ce recul historique que nous avons à mesurer les enjeux liés aux services publics et particulièrement le service public d’éducation et de recherche, construit sur la base de l’égalité d’accès, de l’équité des droits des usagères et usagers comme des salarié·es qui en sont les actrices et acteurs.

Avec le statut de la Fonction publique de 1946, revu et réaffirmé en 1983, aujourd’hui vidé de son sens dans ses missions, dans son fonctionnement comme dans la reconnaissance des droits des personnels, c’est cette histoire que nous devons revisiter pour mieux appréhender les enjeux du présent, les conséquences de la lente érosion - parfois brutale, selon les circonstances, de Sarkozy à Blanquer - du service public d’éducation.

« Savoir pour agir » était le titre du guide juridique du SNETP-CGT pour la défense des droits et devoirs des personnels du service public d’éducation, basés sur l’indépendance des agent·es et la démocratie, à l’opposé des exigences managériales actuelles empreintes du discours libéral…

Au moment où se préparent les élections professionnelles dans toute la Fonction publique, c’est à ce regard historique que notre IHS travaille pour contribuer, à sa mesure, à donner des éléments d’analyse pour élaborer collectivement des propositions mobilisatrices pour les personnels et leur missions d’agent·es de la Fonction publique.

En brève

L’IHS a 40 ans

C’est par une exposition sur 40 ans de travail et de valorisation des archives et donc des luttes, revendications, propositions sociales que l’IHS a choisi de marquer cette étape.
Présente dans le patio Georges Séguy de la bourse CGT à Montreuil jusqu’au 15 septembre, pour ensuite être proposée aux délégué·es du 53e congrès, elle trouvera son prolongement dans une exposition itinérante à la disposition des organisations.

Syndicalisme et service public

Le regard croisé historien/syndicaliste se poursuit le 11 octobre par une conférence sur « syndicalisme et enseignement ».
Pour en savoir plus voir www.ihs.cgt.fr et/ou www.facebook.com/ihscgt

Syndicalisme enseignant et CGT, retour sur une histoire complexe

Notre IHS-FERC met à la disposition des militant·es un outil réalisé par Gérard Montant.
Conçu pour la formation syndicale, il se fixe pour objectif, à partir de documents d’archives, de donner des éléments de connaissances, des clés pour comprendre ce qu’a été la place particulière et le rôle spécifique de la CGT dans le « monde enseignant ».
Dans un contexte électoral complexe, ces éléments de connaissances n’en seront que plus utiles.
Pour se le procurer voir IHS.

À la conquête d’une école émancipatrice - partie 2 : le Plan Langevin-Wallon, un projet ambitieux et novateur

Un contexte singulier et exceptionnel

Au lendemain de la Libération, le gouvernement provisoire de la République française (GPRF) se trouve face à un immense chantier de reconstruction du pays, à la fois économique, politique et social. Le GPRF regroupe les forces ayant pris une part active dans la Résistance : Mouvement républicain populaire (MRP) ; Parti communiste français (PCF) ; Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). Au sein de cet attelage, qualifié de tripartisme, le camp des travailleur·ses représenté par 4 ministres communistes se trouve en position de force. La CGT compte plusieurs millions de syndiqué·es.

Dès lors, il n’est plus question de perpétuer une organisation scolaire inégalitaire destinée ouvertement au maintien des classes sociales. En effet, le GPRF hérite d’une école structurée selon trois ordres étanches, technique, primaire et secondaire ayant chacun son public, son budget, ses enseignant·es et ses programmes. Ainsi, en 1945, les lycées offrent-ils à une petite élite bourgeoise un enseignement long depuis les classes primaires jusqu’au baccalauréat, porte d’entrée à l’Université et aux Grandes Écoles tandis que les écoles primaires dispensent pour les enfants des classes laborieuses un enseignement court jusqu’à 14 ans qui se poursuit pour une minorité d’entre elles et eux vers un enseignement moyen orienté vers le commerce, les emplois administratifs ou le métier d’instituteur·trice. Enfin, les établissements de l’enseignement technique, en petit nombre, forment soit les futur·es ingénieur·es et cadres moyens du commerce et de l’industrie, soit les ouvrier·es et employé·es qualifié·es titulaires d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) préparé au sein des tous nouveaux centres d’apprentissages créés en 1944 (Fig. 1). C’est dans ce contexte qu’est institué par un arrêté du 8 novembre 1944 une Commission ministérielle d’étude de la réforme de l’enseignement chargée « d’ouvrir et de mener une large enquête sur les problèmes de la réforme de l’enseignement ».

Le plan Langevin-Wallon

Cette commission est présidée par Paul Langevin, savant de renommée internationale et professeur au Collège de France, président du Groupe Français d’Éducation Nouvelle (GFEN). Après son décès en décembre 1946, Henri Wallon, professeur au Collège de France, président de la Société française de Pédagogie reprend la présidence de la commission. Tous deux sont membres du PCF comme la moitié des membres de la commission, hauts fonctionnaires, enseignants, pédagogues, syndicalistes et hommes politiques (une seule femme dans la commission).

Entre 1945 et juin 1947, la commission se réunit à 88 reprises. À l’issue des dix premières séances quatre sous-commissions sont créées : organisation générale, éducation, méthode et maîtres.

Le rapport final, connu sous le nom de « Plan Langevin-Wallon » comporte huit parties : 1° Introduction ; 2° Structure et organisation de l’enseignement ; 3° Formation des maîtres ; 4° Organes de contrôle et de perfectionnement ; 5° Programmes, Horaires, Méthodes, Sanction des études ; 6° Éducation morale et civique, formation de l’homme et du citoyen ; 7° Éducation populaire ; 8° Délais d’application.

Ce plan puise dans deux courants de pensée de l’entre-deux guerres, l’école unique pour les structures et l’école nouvelle pour la pédagogie. En cela, il s’inscrit dans la continuité de différents projets élaborés antérieurement : les classes d’orientation expérimentales ouvertes en 1937 sous le Front populaire, une ébauche de réforme présentée en 1943 par Georges Cogniot au nom du PCF et un plan élaboré à Alger entre mars à septembre 1944 sous l’égide du GPRF qui prône notamment une école unique basée sur un enseignement secondaire pour tous jusqu’à 18 ans.

Les travaux de la commission dépassent largement le cadre de la simple enquête et préconisent une réforme radicale, organisée autour d’une structure scolaire unique offrant un enseignement gratuit et obligatoire de six à dix-huit ans pour toutes et tous, mettant en œuvre une pédagogie nouvelle basée sur des méthodes actives. La concrétisation d’une école unique semble alors à portée de main, les principes généraux de la réforme de l’enseignement affirme en effet : « Tous les enfants, quelles que soient leurs origines familiales, sociales, ethniques, ont un droit égal au développement maximum que leur personnalité comporte. »

Les principales propositions du plan

Pour atteindre cet objectif très ambitieux et novateur, il est prévu une réorganisation totale de l’édifice scolaire en deux degrés (Fig. 2). Après un 1er cycle (classes primaires), les élèves suivent un 2e cycle de quatre années (de 11 à 15 ans) entièrement destiné à préparer leur orientation en fonction de leurs désirs et de leurs aptitudes. Après deux années d’observation, ils et elles expérimentent, durant deux années supplémentaires, différentes options qui les orientent vers les sections pratique, professionnelle ou théorique du 3e cycle (de 11 à 18 ans). À l’issue de la scolarité obligatoire, une partie des élèves accèdent au 2e degré, enseignement supérieur qui débute par deux années communes et préparatoires. Chose impensable aujourd’hui, aucun examen ou concours ne doit avoir lieu avant la fin de la scolarité obligatoire. Pour réussir cette école unique, il est prévu une refonte des méthodes d’enseignement afin de permettre la réussite de tout·es les élèves ainsi qu’une formation au métier d’enseignant·e commune à tous les maître·sses des 1er et 2e degrés.

Enfin, le chapitre sur l’ « Éducation morale et civique, formation de l’homme et du citoyen » réaffirme le principe de laïcité de l’enseignement ; il s’agit notamment « de donner à l’enfant le goût de la vérité, l’objectivité du jugement, l’esprit de libre examen et le sens critique qui feront de lui un homme libre du choix de ses opinions et de ses actes… »

La fin d’une courte époque

Le plan Langevin Wallon ne sera jamais mis en discussion à l’assemblée nationale. En effet, lorsque le 19 juin 1947 la commission rend son rapport au ministre de l’Éducation nationale, la conjoncture politique n’est plus favorable à une réforme en profondeur de l’enseignement. Dès mai 1947 un décret met fin aux fonctions des ministres communistes, c’est la fin du tripartisme. Le mois suivant le général Marshall présente son plan de reconstruction européenne qui annonce la Guerre froide. Autre obstacle à la concrétisation du plan, son mode de rédaction, certes détaillé, mais trop général dans la mesure où celui-ci ne propose pas les textes législatifs, lois et décrets, indispensables à l’implémentation d’une réforme.

Néanmoins, parmi les propositions du plan, certaines seront mises en œuvre. On retiendra notamment la création d’un baccalauréat technique devenu aujourd’hui sciences de l’ingénieur·e, une des douze spécialités du baccalauréat général et l’expérimentation de « classes nouvelles », des 6e de vingt-cinq élèves (mixte pour certaines) dont le but est « contribuer à la formation intégrale de l’enfant » en associant étroitement disciplines intellectuelles, éducation physique et artistique et travaux manuels éducatifs.

L’impact du plan Langevin-Wallon

Un tel plan se proposait d‘offrir à tous les enfants, futur·es citoyen·nes, les meilleures conditions de réussite scolaire afin de leur permettre de développer leurs aptitudes et d’atteindre leur plein épanouissement.

Bien que jamais appliqué, le plan Langevin Wallon servira de référence aux nombreuses réformes discutées, proposées et mises en œuvre tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle.

Parmi les mesures phares du plan Langevin-wallon, la scolarité obligatoire jusqu’à dix-huit ans reste, pour la CGT, un objectif à atteindre.

Initiative réussie pour l’IHS-FERC

L’IHS-FERC a tenu en juin 2022 un colloque dont l’intitulé était : « Féminisme et syndicalisme CGT, pratiques militantes et revendications dans le champ de l’Éducation, la Formation, la Recherche et la Culture ».

Ce colloque annoncé depuis 2020 a vu sa préparation perturbée par la pandémie mais le pari a été relevé : le 9 juin 2022, quelques 70 militantes et militants se sont retrouvé·es à Montreuil pour échanger sur cette thématique dont l’actualité trouve ses racines dans les archives syndicales.

La volonté de l’institut fédéral a été d’associer dans ce travail le Collectif fédéral Femmes mixité et la collective de la CGT Éduc’action. Cette dernière est une structure, non mixte, qui travaille tous les aspects de la discrimination sexiste dont sont victimes les femmes sur leur lieu de travail comme dans les organisations syndicales.

Dans les champs de la FERC comme ailleurs la question d’égalité salariale se pose ; mais aussi d’autres questions plus spécifiques comme la sexualisation des métiers et des filières avec par exemple la formation professionnelle des jeunes filles dans les années 50, les contenus sexistes des manuels. Toutes les disciplines sont concernées de manière plus ou moins visibles.

Sans oublier, comment les femmes se sont organisées dans le mouvement syndical pour faire émerger des revendications féministes ?
Au cours du colloque, présidé par Pauline Schnegg du collectif FERC « Femmes /mixité », Alain Vrignaud et Christian Hamon, militants de l’IHS Fédéral, ont montré via un diaporama, des documents riches d’enseignement sur l’évolution des revendications portées par l’organisation depuis plus de 60 ans. Les camarades se sont rendus à deux reprises aux archives départementales de Bobigny (93) où sont conservées nos archives nationales. Les extraits d’interventions de militant·es lors de différents congrès étaient particulièrement intéressants.

À l’évidence pour l’ensemble des participant·es, cela prouvait l’intérêt de recherches réalisées dans les sources archivistiques du syndicat, ici le SNETP-CGT [1] et ne peut qu’inciter à poursuivre leur exploration. Une bonne incitation aussi pour les militant·es d’aujourd’hui à mener l’indispensable travail de conservation des archives.
La présentation par nos camarades de « La Collective de CGT’éduc » de portraits de militantes a illustré par un retour sur images, la permanence et l’actualité de leurs luttes… de Marie Guillot, Josette Cornec à Paulette Cavalier, trois femmes militantes qui, à des époques différentes, ont été les témouines et actrices de leur temps.
La conférence de la sociologue Danielle Kergoat [2], le témoignage de Michèle Douville [3] ont ouvert des pistes de réflexion sur l’approche militante, scientifique et les articulations nécessaires entre un travail d’archives, recherches sociologiques et témoignages pour appréhender l’histoire de ces pratiques militantes revendicatives féminines, leur évolution féministe dans la diversité des champs professionnels, des expériences, de l’histoire de chacune.

Sophie Binet, responsable du collectif confédéral « Femmes/Mixité », secrétaire générale de l’UGICT, et Marie Buisson, secrétaire générale de la FERC-CGT, ont apporté un éclairage d’actualité qui ne peut se comprendre que par la connaissance des luttes et espérances du passé.

32e congrès CGT AFPA : L’IHS - FERC y était

Pour introduire son propos au titre de l’IHS-CGT FERC, Jean Claude Labranche s’appuie sur deux citations : « Celui qui ne connaît pas son histoire est condamné à la revivre » (Karl Marx) et « tant que les lapins n’auront pas d’historiens, ce sont les chasseurs qui écriront l’histoire » (Howard Zinn).

La benjamine du congrès est la fille d’un ancien dirigeant CGT AFPA de la région PACA, une belle illustration pour rappeler l’importance de la transmission de nos valeurs de génération en génération.

Cette intervention a été l’occasion de faire le point sur l’activité de notre institut avec les « 70 ans de l’AFPA » (novembre 2016), la publication du livre AFPA, la pédagogie de la promotion sociale et la réalisation du panneau d’exposition : « L’AFPA, elle est à nous ». Les congressistes ont demandé à ce que celui-ci soit reproduit pour les panneaux syndicaux, dans tous les établissements.

Concernant les archives du syndicat, jusqu’à 2011 elles ont été valorisées et confiées aux archives départementales de Bobigny. En ce qui concerne les archives locales, suite à une intervention de la salle, elles peuvent être confiées à un IHS départemental ou régional suivant les cas. Il est rappelé l’existence du stage confédéral « Archives », dont l’importance a été soulignée après le débat sur les archives numériques. S’ensuit la présentation du Maîtron et du travail entamé par Michèle Douville pour la rédaction des biographies des principaux et principales dirigeant·es du syndicat mais pas seulement celles-ci et ceux-là et ce, dans l’esprit de Jean Maîtron.

Enfin le syndicat a renouvelé son adhésion (montant voté en plénière du congrès) à l’IHS qui, pour la CGT AFPA, est statutaire.
Une douzaine de congressistes ont pris ou renouvelé leur adhésion individuelle.

À suivre pour d’autres congrès ou assemblées de militantes et militants.


[1Aujourd’hui CGT Éduc’action

[2Danielle Kergoat sociologue chercheuse émérite SNTRS

[3Michelle Douville, retraitée, militante AFPA